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— Acceptez mon bras, lui répondis-je, et allons causer dans le salon. Vous y serez mieux ; j’ai trop fumé ici.

— Ah ! cela m’est bien égal ; mais allons où vous voudrez.

Je la conduisis dans la pièce commune qu’on appelait dans la maison le parloir. C’était une grande salle décorée de statues qui méritait bien peu cette dénomination intime du home anglais. Mme Brudnel se jeta sur un sofa. Je pris une chaise et attendis qu’elle parlât la première.

— Vous avez accompagné Richard jusqu’au bateau ? me dit-elle avec l’embarras d’une personne qui ne sait plus comment entrer en matière.

— Oui, madame, jusqu’au bateau.

— Il a trouvé une bonne cabine ?

— Très bonne.

— Et vous n’êtes pas inquiet de le voir s’en aller comme cela tout seul ?

— Je ne vois aucun sujet d’inquiétude, John étant avec lui.

— Vous l’aimez beaucoup, n’est-ce pas ? Il est si bon !

— Excellent. Je lui suis tout dévoué.

— Il vous aime aussi, il a toute confiance en vous.

Ceci ne me paraissant point une question, je m’abstins de répondre.

— Dites ! reprit-elle vivement. Il vous confie tout ce qui l’intéresse.

— Il ne m’a jamais rien confié.

— Mais il vous parle de moi ?

— Jamais.

— Ah ! vraiment ; comme il est singulier ! Aujourd’hui par exemple il a pourtant dû vous dire quelque chose ?

Je lui rapportai fidèlement les paroles de sir Richard, lesquelles n’avaient certes rien de confidentiel, et qu’il n’eût dû lui dire cent fois à elle-même.

Elle en parut désappointée. — Et voilà tout ? dit-elle ; vous me le jurez ?

— Je puis vous le jurer.

— Rien de sa sœur, de ses affaires de famille, de ses projets à lui, de certaines éventualités… Vous savez que nous ne sommes pas mariés… selon la loi anglaise ?

— Je n’en sais rien.

— Je vais vous expliquer…

— Non, non, je vous en supplie, je ne veux pas écouter de confidences que M. Brudnel ne jugerait peut-être pas à propos de me faire. Si vous n’avez point d’ordres à me donner, permettez-moi de vous souhaiter une bonne nuit.