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s’arrêtaient autrefois et se reformaient avant d’entrer à Kioto, résidence des mikados, et nous atteignions le pont de Shéka, jeté sur l’extrémité du lac Biwa, d’où sort une belle rivière limpide pour se rendre à la mer. Cette première vue du lac nous enchanta. Entouré de montagnes de tous côtés, calme, resplendissant, le lac Biwa nous sembla digne des admirations dont il est l’objet dans les chants indigènes. En y arrivant, nous nous détournâmes de notre route pour aller à Ichiyama déjeuner sur le bord de la rivière, qui viendra plus tard, sous le nom d’Ujiyama, rejoindre le Yodoyvara au-dessus d’Osaka. Cette petite ville tire son nom (montagne de la pierre) de certaines roches noires, de formes bizarres et d’un volume considérable. Ces roches ont l’apparence d’un marbre poli et s’élèvent jusqu’au sommet d’une petite colline que surmonte un temple. Nous entrons dès à présent dans le périmètre de la ville sainte et dévote par excellence, et nous n’allons plus faire un pas sans renconter un souvenir ou un monument religieux. Une avenue d’érables mène au portique, gardé par deux dragons, objets d’une grande vénération. Après avoir monté un raide escalier de pierre, nous atteignîmes le hondo ou chapelle renfermant l’idole vénérée de la déesse Quannon, mais dans une telle obscurité qu’on peut à peine en distinguer les formes ; elle remonte à la plus haute antiquité. C’est tout près de là, dans l’enceinte du temple, que se trouve la petite pagode où la célèbre poétesse Murasaki-Shikibu composa le Genji Mondgatari, l’Iliade du Japon. Simple était l’ameublement, car il se compose d’un encrier. À quelques pas, un pavillon s’élève sur une plate-forme d’où on découvre une vue ravissante du lac, qui va s’élargissant dans le lointain, tandis que la rivière coule limpide à vos pieds, continuant la nappe d’eau comme le manche d’une guitare, d’où le lac a tiré son nom, Biwa (guitare à deux cordes). Menacés une fois encore par l’orage, nous gagnons au plus vite Otsu, où nos bagages étaient déjà arrivés, et nous nous dirigeons vers l’hôtel où nous étions attendus.

Cet hôtel est une de ces constructions que les Japonais appellent européennes parce qu’il y a des apparences de portes et de fenêtres, mais qui ne méritent de nom dans aucune langue. Carton et papier mâché ! Quand on s’assoit sur une chaise, elle s’écroule ; veut-on fermer une fenêtre, elle reste entre-bâillée malgré tous les efforts, ouvrir une porte, elle ne cède jamais ; mais ce soi-disant hôtel est près du lac, on aura une belle vue, et cela console de tout le reste. Pendant que nous faisions connaissance avec notre demeure, l’orage s’était calmé. Le soleil se montra bientôt, l’horizon s’éclaira, les sommets se dégagèrent, nous aperçûmes la fumée des bateaux à vapeur qui sillonnaient le lac. Otsu est une très ancienne capitale