Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus frappant de la ville sainte. C’est un vaste palais d’un luxe inoui. Les plafonds sont ornés de caissons sculptés et peints d’une conservation extraordinaire. Les murailles sont tendues de grands panneaux dessinés à l’encre de Chine sur fond d’or et remarquables par une science de la perspective bien rare dans la peinture japonaise. Les portes peuvent lutter avec celles du Gosho. Je ne dirai rien des objets exposés ; mais comment passer sous silence une tapisserie de soie, or en relief, représentant la mort de Bouddha, vraiment digne des Gobelins, et vendue, nous a-t-on dit, à un amateur français 25 000 rios (140 000 francs) ?

Le 22 au matin, escortés par les cadeaux de notre hôte sous une pluie tenace, nous gagnons Fushimi, où une bataille célèbre décida du sort du taïcounat en 1868. C’est là que nous nous embarquâmes dans un grand yané-fune, — bateau couvert, — qui nous fit redescendre le Yodogawa au fil de l’eau grossie par les pluies récentes. À part le déjeuner servi à bord, la seule distraction pendant six heures de descente entre deux rives monotones, c’est de voir tourner les roues qui montent l’eau destinée aux rizières du voisinage. C’est aussi simple qu’ingénieux. De loin, on aperçoit une roue à palettes ; en approchant, on voit que de trois en trois palettes est placé un tube de bambou creux, fermé à l’extrémité qui regarde la rivière, ouvert du côté de la terre. La roue tourne, le tube plonge, se remplit, s’élève, puis, arrivé au sommet, se vide, grâce à une faible pente très bien calculée, dans une rigole d’où l’eau se répand dans les rizières. Ces grandes aubes sont innombrables et tournent très vite, ce qui fait ressembler le fleuve, quand on l’enfile du regard, à un large train de chemin de fer déraillé et couché sur le dos, dont les roues continueraient à tourner sur elles-mêmes.

Mais voici que le fleuve s’élargit ; l’horizon s’éclaircit et nous montre les collines voisines. Je songe au cours du Rhône au-dessous de Lyon, et, comme pour compléter la comparaison, un petit village semblable aux roches de Condrieux vient se mirer dans l’eau. Souvenirs, beaux souvenirs de France, que venez-vous faire ici ? Fuyez, charmeurs ; — pour jouir du Japon, il ne faut pas le comparer ! Le temps passe, le fleuve coule ; nous rencontrons des bateliers qui nous interpellent familièrement ; plus de doute, nous approchons d’un settlement européen. Sur la rive droite s’élève une vaste bâtisse en pierres de taille, à gauche se dresse un siro monumental comme celui de Yeddo ; nous voilà entrés dans Osaka. Nous naviguons au milieu des maisons de thé penchant leur balcon sur l’eau, des godons dégorgeant leurs marchandises dans les jonques et longeant par momens des quais d’où descendent de grands escaliers. C’est en bateau qu’il faut arriver à Osaka, c’est en