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fille ouvrit, et au même instant notre maître, tirant son handjer[1], lui porta un coup mortel. »

« Une splendide collation froide nous fut servie, après quoi nous allâmes au jardin avec toutes les femmes du pacha. C’étaient des Circassiennes et des Grecques généralement belles et douces, mais mal élevées. Puis nous allâmes au bain chaud, où des esclaves cherchèrent à nous amuser par des danses et des chants au son du derbouka[2]. La nuit venue, nous retournâmes au palais de Nazly. L’une des conteuses d’histoires nous fit alors un de ces récits dont elles ont l’habitude. Il y en a dix environ, chaque femme en sait un ou deux qu’elle répète ; celles qui sont préposées à ce genre de récitation n’ont pas d’autre emploi. Nous eûmes une représentation de karagheuz (ombres chinoises). Le dialogue était selon la coutume plein d’allusions aux actes de la princesse et de son entourage. C’est le théâtre des Orientaux. »

Voilà un aperçu de mœurs intimes pris sur le vif. Il est juste d’ajouter pourtant que toutes les grandes dames d’Orient ne sont pas des Nazly. Mme Méhémet-Pacha nous fait connaître une cadine-effendi[3] du sultan Mahmoud qui diffère singulièrement de ce type brutal et perverti. Fille adoptive d’une sultane, elle fut l’objet d’un caprice impérial qui dura dix jours à peine ; ensuite le sultan ne se montra plus. Elle eut toute sa vie des appartemens splendides, de nombreux esclaves, tout le luxe imaginable, et, pleine de bonté pour ceux qui la servaient, travailla sans relâche à cacher une inconsolable douleur. Jamais elle ne quittait le palais, jamais elle ne recevait de visites. Sa fille unique mourut dès les premiers mois d’un heureux mariage, et elle resta en butte à la haine envieuse de la sultane Validé, ancienne servante du harem, que, par une inexplicable fantaisie, le sultan avait distinguée tandis qu’elle s’acquittait du plus grossier travail manuel.

Si telle peut être la condition d’une cadine, que dire de celle des odalisques, vendues plus ou moins cher, selon leur beauté, vers l’âge de douze à treize ans, revendues après qu’elles ont reçu quelques talens, qui transforment de pauvres paysannes, capables seulement de parler le langage barbare de leur tribu, en musiciennes ou en danseuses livrées sans défense à la passion du maître, qui les abandonne parfois ensuite au ressentiment d’une épouse capable de tout pour les empêcher de mettre au monde un fils[4] ? Les harems cachent des souffrances de plus d’une sorte dont la fin est

  1. Dague courte et recourbée.
  2. Sorte de mandoline.
  3. Seconde femme.
  4. L’esclave achèterait ainsi le droit de n’être plus vendue.