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Fatmah elle-même qui lui donna la mort en s’asseyant sur son visage, tandis qu’Omer lui tenait les mains. À peine Bechir avait-il rendu le dernier soupir que la populace enfonça les portes, cria au meurtre, demanda vengeance. Les invités s’enfuirent ; entourée de furieux qui brandissaient des sabres et des bâtons et qui l’éclaboussaient du sang de l’eunuque, Mme Méhémet-Pacba fut protégée par la police, qui procéda sans retard à l’interrogatoire des coupables. Ceux-ci, voyant dans cet aveu une espérance de salut, déclarèrent qu’elle leur avait donné l’ordre d’en finir avec Bechir. Les ennemis politiques du pacha se joignirent aux ennemis personnels de sa femme pour envenimer cet horrible scandale ; on excita le peuple au tumulte, les journaux furent remplis de récits qui montraient la prétendue criminelle sous le jour le plus odieux. Mme Méhémet-Pacha, arrêtée, interrogée, répondit toujours de la même manière. « Je n’ai jamais donné l’ordre dont vous parlez, je n’ai point trempé dans ce meurtre. Croyez-vous donc que, si j’avais voulu me débarrasser de Bechir, j’eusse été assez stupide pour le faire étrangler publiquement, tandis qu’avec un peu de poison je pouvais m’en défaire sans bruit ? D’ailleurs, s’il avait fallu choisir entre les deux, j’eusse préféré me défaire de Fatmah, car c’est à elle que je dois tout mon chagrin. » Nous voyons, sans qu’elle le dise, combien elle s’étonne, innocente ou non, qu’on ait fait tant de bruit pour la mort d’un misérable nègre qui lui appartenait en toute propriété, puisqu’elle l’avait acheté. Le sentiment chrétien est complètement étouffé en elle par la pratique des mœurs orientales.

Kibrizli-Méhémet-Pacha, rappelé en hâte à Constantinople, se vit contraint pour apaiser les clameurs de l’opposition, qui souhaitait sa perte, de faire notifier le divorce à sa femme et de prendre une nouvelle épouse. Après quatre mois d’emprisonnement, Mme Méhémet-Pacha apprit que les deux assassins de Bechir étaient condamnés aux galères, et qu’elle aurait à subir pour sa part quelques mois d’exil en Asie-Mineure. Le ministre de la police la somma au nom de son mari de déclarer si Mustapha-Djehad-Bey était bien en réalité l’enfant du pacha, rien ne prouvant, puisque l’un des enfans avait été emprunté, que l’autre ne le fût pas aussi. En vain Mme Méhémet-Pacha veut-elle justifier sa réponse évasive en alléguant qu’elle craignait de laisser son fils entre les mains d’une rivale, il est évident qu’elle saisit avec empressement la dernière, l’unique occasion de vengeance qu’on lui laissât. « Comment, répliqua-t-elle, tm père ne connaîtrait-il pas son enfant ? Si le pacha dit que Djehad n’est pas à lui, c’est une preuve suffisante qu’il a été emprunté aussi. » L’obstination qu’elle mit à ne rien ajouter de plus fit que