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là une première, une évidente analogie avec ces histoires européennes qui à l’origine ont toutes l’air de se répéter. Sous la ressemblance se montre cependant déjà la diversité. La Russie nous offre un fonds national différent, bien que de race voisine, le fonds slave au lieu du fonds celte ou germain. Quel est l’apport primitif de ces Slaves à la civilisation ? Les Russes voudraient asseoir sur eux leur culture comme leur nationalité. L’histoire malheureusement ne les connaît guère au temps de leur vie isolée ; elle les trouve de bonne heure en contact avec des étrangers germains ou finnois. Dès avant Rurik, les Slaves de Russie se livraient au commerce et à l’agriculture ; déjà ils avaient des villes, des grad ou gorod, comme Kief ou Novgorod (la nouvelle ville), dont le nom même en fait supposer d’antérieures. Ces cités barbares formaient des communes ou républiques gouvernées par des assemblées populaires sous l’administration des anciens. Unies entre elles par une sorte de fédération, ces communes slovènes semblent n’avoir composé qu’une agrégation instable ; pour les coordonner en état et en nation, il fallut un élément étranger. Comparés aux Germains, les Slaves russes paraissent avoir eu un goût plus vif pour l’association et la communauté, un esprit moins hiérarchique, un penchant plus prononcé pour la famille et la vie patriarcale. Ces tendances, pour nous trop peu distinctes, contenaient le premier germe des institutions de la Russie, et en présageaient de loin la direction sociale.

L’élément germanique, qui dans toute l’Europe a joué un rôle dont la grandeur est difficile à contester, n’a point entièrement fait défaut à la Russie. Selon toute probabilité, ce sont des aventuriers normands semblables à ceux qui, vers la même époque, ravageaient l’Occident et y fondaient diverses dynasties, qui au ixe siècle jetèrent les bases de l’état d’où est sorti l’empire russe. Le chroniqueur de Kief, Nestor, nous montre Rurik et ses frères appelés à la souveraineté par les Slaves de Novgorod las de leurs dissensions intestines. Déjà dans la chronique du xie siècle l’amour-propre national avait peut-être dissimulé une conquête normande sous le voile d’un appel volontaire des Slaves de Novgorod. De nos jours, une critique jalouse d’innover ou un patriotisme rétroactif a fait disputer aux Scandinaves Rurik et ses compagnons, les Variagues ou Varangiens ; aux fondateurs de leur empire, les Russes ont cherché une généalogie plus nationale. Pour un savant, Rurik et les Variagues sont des Lithuaniens ; pour d’autres, ce sont des Novgorodiens exilés, ou des Slaves des côtes méridionales de la Baltique. On a été dans ces derniers temps jusqu’à faire de cet épisode capital un mythe introduit après coup dans la chronique et à repousser toute idée d’importation de souveraineté étrangère. En dépit des derniers tra-