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du tsarisme cette soumission digne et touchante jusque dans ses abaissemens. C’est la réduction de Pskof, la république sœur de Novgorod, par Vassili, fils d’Ivan III, père d’Ivan IV, tous deux décorés par leurs contemporains de ce nom de terrible qui semble l’attribut de la race ou du régime. « Ton patrimoine, la ville de Pskof, se jette à tes pieds, » disaient à Vassili, venu pour leur enlever leurs dernières franchises, les principaux citoyens d’une des deux villes de la Russie qui ont connu la liberté. « Fais grâce à ton vieux patrimoine. Nous, tes enfans orphelins, nous te sommes attachés à toi et aux tiens jusqu’à la fin du monde. À Dieu et à toi tout est permis dans votre patrimoine[1]. » Vassili fait savoir qu’il veut la suppression du vetché et de tous les priviléges que ses ancêtres ont par serment confirmés à Pskof. « Il est écrit dans nos annales, dit un bourgeois dans la dernière assemblée de la ville, que les hommes de Pskof ont juré fidélité aux grands-princes et que ceux-ci leur ont permis de vivre librement selon leurs coutumes. Il est dit que la colère divine frappera celui qui ne tiendra pas son serment. Par la grâce de Dieu notre souverain dispose aujourd’hui selon sa volonté de Pskof, son patrimoine, de nous tous et de la cloche qui nous rassemblait. Nous ne voulons pas être parjures à notre serment, nous ne lèverons pas la main contre notre souverain : nous nous réjouissons de sa présence et le supplions seulement de ne pas nous anéantir tout à fait. » Les Pskovites descendirent en pleurant la cloche qui, depuis des siècles, les convoquait au vetché. Vassili, étant entré dans la ville, les assura de ses bonnes grâces, et, ayant réuni les principaux, il leur fit annoncer qu’ils devaient avec leurs femmes et leurs enfans quitter leur ville natale pour s’établir dans le centre de la Russie et « y vivre heureux par la grâce du tsar. » La nuit même, 300 familles étaient dirigées sur Moscou, et bientôt des Russes des bords du Volga venaient par ordre de Vassili occuper leur place au bord du lac Peipous. Des procédés semblables avaient été employés avec Novgorod : c’est ainsi que les tsars unifiaient et nivelaient leur empire. De tels exemples font comprendre l’autocratie russe de Pierre le Grand à Nicolas.

Ce Vassili était un prince doux et humain à côté de son père ou de son fils. Un regard de Jean III faisait, dit-on, évanouir les femmes. Une fois il mit à mort un médecin qui avait laissé mourir son malade. Quand il était à table et que, pris de vin, il s’endormait, les assistans restaient immobiles et silencieux, attendant pour se lever ou pour parler un ordre du tsar. Chez Jean IV, la cruauté allait à la monomanie ou à l’insanité ; ses fêtes étaient souvent souil-

  1. « Bog y ty volenn v svoeï ottchiné. » Chronique de Pskof, citée par Karamzine, t. VII.