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au doublement ou au tiercement des impôts, aux affaires extraordinaires : création de lettres de noblesse, ventes d’offices, émission de papier-monnaie. En 1708, la dette était de 2 milliards, sur lesquels 500 millions de billets d’état étaient immédiatement exigibles ; les dépenses courantes dépassaient 200 millions, tandis que les recettes n’allaient pas au-delà de 118. Cinq ans plus tard, au moment de la mort de Louis XIV, les impôts irrecouvrables montaient à 42 millions, les revenus de deux années étaient entièrement dépensés à l’avance et divers crédits anticipés jusqu’en 1722[1]. La dette exigible représentait en capital 785 millions, la dette perpétuelle 460 millions, la finance des offices 800 millions, et cet énorme déficit laissait pour unique ressource 800 000 livres en numéraire dans les caisses des receveurs-généraux.

Ainsi, sous le règne du prince que l’histoire a salué du nom de grand, la misère avait dépassé la gloire ; le siècle qui s’ouvrait sous de pareils auspices réservait à la monarchie de terribles épreuves, elle ne devait pas lui survivre, et quand on étudie les faits, quand on les suit dans leur enchaînement, on peut dire que la révolution commence le jour où Louis XIV descend dans les caveaux de Saint-Denis. En 1715 en effet, comme en 1788, on se demande si le royaume le plus favorisé de la nature doit retomber périodiquement dans la même détresse : on parle de banqueroute, d’états-généraux, d’appel à la nation ; le peuple insulte le cercueil royal, et cet outrage inoui dans notre histoire est comme le prélude des colères et des vengeances qui attendent dans un avenir prochain la royauté capétienne.

IV.

À dater de la mort de Louis XIV, et c’est là un fait qui a été trop peu remarqué, le problème de la révolution se pose par les questions de finance. Le conseil extraordinaire, institué par le régent en 1715, prend de sages mesures et fixe le budget des re-

  1. Voir pour la situation du trésor à la mort de Louis XIV l’édit du 7 décembre 1715. « Nous avons trouvé, dit le régent, le domaine de la couronne aliéné, les revenus de l’état presque anéantis par une infinité de charges et de constitutions, les impositions ordinaires consommées par avance, des arrérages de toute espèce accumulés depuis plusieurs années, le cours des recettes interverti, une multitude de billets, d’ordonnances et d’assignations anticipés de tant de natures différentes, et qui montent à des sommes si considérables qu’à peine on peut en faire la supputation. » Cet édit, qu’on peut regarder comme une véritable mise en accusation de la mémoire de Louis XIV, est reproduit par Forbonnais, Recherches sur les finances, t. V, p. 272 et suiv.