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II.

Le soir, on me rappela dans les appartemens. Je trouvai Manoela plus malade que le matin, et le lendemain elle le fut encore davantage. Les symptômes, sans être alarmans, étaient plus caractérisés. Je dus la revoir dans la journée et le soir encore. Je pris le parti d’écrire à M. Brudnel.

Il venait d’écrire de son côté à Manoela sous mon couvert. « Ma sœur est morte, acceptant la restitution pure et simple de la somme qu’elle m’avait prêtée. Pour satisfaire au plus tôt ses héritiers, je dois partir pour Bordeaux aussitôt après les funérailles, c’est-à-dire demain soir. J’espère être auprès de vous dans huit ou dix jours. Patience, ma chère fille, votre ami Richard vous bénit. »

Cette lettre laconique me fut aussitôt communiquée par Manoela. — Qu’est-ce que vous en pensez ? me dit-elle.

— Je pense qu’elle n’est pas compromettante, et je n’y vois rien qui confirme les engagemens pris envers vous.

— Il n’y a jamais eu d’engagemens formels, et sir Richard n’écrit jamais autrement.

— Qu’appelez-vous des engagemens formels ?

— Une promesse écrite. Je n’en ai jamais demandé.

— Et c’est le tort que vous avez eu, dit la Dolorès. Le vent emporte les paroles.

— Tu veux me faire douter de lui. Voyons, docteur, vous qui le connaissez si bien et qui l’aimez tant !..

— Je ne peux pas avoir d’opinion, ne sachant pas si ses paroles ont été aussi explicites que vous vous en êtes flattée.

— Mon Dieu ! je ne sais pas non plus, moi !.. Il m’a dit qu’il ne se marierait jamais avec une autre. Oh ! cela, j’en suis bien sûre, il l’a juré.

— Il tiendra parole, mais ce n’est pas une promesse de vous épouser.

— J’en conviens. Pourtant il a consenti à me laisser porter son nom et passer pour sa femme.

— Il y a consenti parce qu’il n’a pu faire autrement, observa la Dolorès. Rappelez-vous comment la chose s’est passée. C’est moi qui ai commencé à vous appeler madame et à dire aux domestiques que vous étiez mariée avec lui. Ma naissance et mes principes ne me permettaient pas de servir une personne indigne de respect. Vous étiez pure, je le sais, mais personne n’eût voulu le croire. M. Brudnel était absent dans ce moment-là. Quand il revint, le pli était pris. Il me gronda de ne vous avoir pas plutôt fait passer pour sa fille. Il était trop tard pour changer ce qui était. Il a subi le rôle