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Si quelque commis malavisé s’aventurait à vouloir réprimer cette fraude violente, on le rouait de coups, on le bâillonnait, et l’on continuait sans gêne l’introduction des denrées prohibées. On fit plus : on creusa des souterrains qui, passant sous les boulevards extérieurs, sous le mur d’enceinte, sous le chemin de ronde, mettaient en communication les cabarets de la banlieue et ceux de la ville ; c’était un pillage, l’octroi était à sac. C’est sans doute de cette époque que date une galerie à demi comblée qui partant d’une maisonnette située dans l’ancien cimetière de la Salpêtrière, et, traversant le boulevard de l’Hôpital au nord de la barrière des Deux-Moulins, aboutissait à la rue du Marché-aux-Chevaux, et qui fut retrouvée lorsque M. Eug. de Fourcy fit faire les travaux destinés à reconnaître le Paris souterrain[1]. Il fallut le premier consul à la tête du gouvernement et Frochot à la préfecture de la Seine pour mettre fin à ces abus.

Depuis la loi de vendémiaire, les octrois n’ont pas cessé de fonctionner régulièrement à Paris avec des fortunes diverses qui oscillaient au gré des vicissitudes de la prospérité publique. Dans plus d’une circonstance, des théoriciens animés sans doute de fort bonnes intentions ont cherché à détruire ce mode de perception, plus d’une commission législative et extra-parlementaire s’est réunie pour étudier la question, on a dit là contre l’octroi tout ce que l’on pouvait dire, — et ce que l’on dit contre l’octroi, on peut le dire contre n’importe quel impôt ; — mais, lorsqu’il s’est agi d’indiquer comment on remplacerait cette source de la fortune municipale, nulle solution rationnelle n’a été proposée. Les plus hardis ont parlé d’un impôt sur le revenu, sans voir que l’octroi n’est pas autre chose, puisque chacun paie en raison directe de sa propre consommation, c’est-à-dire de la dépense que sa situation personnelle lui permet de faire. C’est là au contraire ce qui rend cet impôt excellent, car il est acquitté le plus ordinairement par l’achat même de la denrée. L’octroi est désagréable et ennuyeux, on doit l’avouer, lorsqu’il contraint un voiturier à faire halte aux barrières, un bateau à s’arrêter pour attendre le canot de la patache, lorsqu’il ouvre les voitures et fait perdre le temps qu’il met à libeller ses papiers ; néanmoins il compense ces inconvéniens par tant d’avantages qu’il serait puéril d’y trop insister.

La marche ascendante du produit de l’octroi ne s’est pas arrêtée depuis la création de cette taxe. Au début du consulat, ce produit

  1. Voyez l’Atlas souterrain de la ville de Paris, par Eug. de Fourcy, 1859 : région N.-E., planches 1-2. — Le triangle qui a le sommet à l’ancienne barrière d’Italie, les côtés aux boulevards de l’Hôpital et d’Ivry, la base à la Seine, n’a été réuni à Paris qu’en 1818.