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déjà le confort européen, et dans les belles villas de Sobieski et des Augustes les splendeurs imitées de la cour de Versailles.

Ce nom de Varsovie ne disait-il rien au cœur de l’impératrice ? Là était le but de ses ambitions conquérantes, là aussi l’objet d’un ancien amour. Le roi de Pologne, c’était ce Stanislas Poniatovski auquel en 1758 elle jurait un éternel souvenir. Nous sommes en 1781 ; vingt-cinq années se sont appesanties sur sa tête impériale ; mais au milieu d’autres passions, au milieu des soucis d’un empire, elle n’a pu tout à fait oublier. Cet ancien amour n’était-il pas le premier ? Ce malheureux roi de Pologne, il a beau être le jouet de sa politique, la victime de ses convoitises : il a encore une place dans son cœur. Et cette grand’mère écrivant à ses jeunes enfans se prend, avec je ne sais quelle impudeur naïve, à se remémorer le temps passé. « Je pense, leur dit-elle, que sa majesté polonaise avait bien de la peine à se souvenir de ma physionomie d’il y a vingt-cinq ans dans les portraits que vous lui avez montrés ; mais la conversation remplie d’agrémens, de gaîté et de connaissances de ce prince, — l’avez-vous retrouvée ? ou la royauté l’aurait-elle diminuée ? Il m’a semblé en retrouver des traces dans la façon dont il a porté ma santé. » Un peu plus tard, il sera question, dans sa correspondance maternelle, d’un autre de ses amans. De plus terribles souvenirs se rattachent pour elle au nom de celui-là. C’était ce Grégory Orlof, un des hommes de 1762, qui, envahi d’une sombre mélancolie, se croyait partout poursuivi par une ombre vengeresse. Dans ses accès de fureur, il accablait parfois l’impératrice de reproches qui faisaient pâlir les plus impassibles courtisans. Pendant ce voyage du grand-duc, Orlof était déjà dans cet état de démence où les ennemis de Catherine prétendaient voir un châtiment du ciel. Elle affecte d’en parler à ses enfans comme d’une maladie ordinaire. « Ses frères, écrit-elle, le gardent à vue pour le dérangement ou plutôt l’affaiblissement de raison qu’ils lui ont remarqué… Dieu merci, il est entre les mains d’un homme qui, — vous savez si j’ai peu de foi en médecins, médecine et charlatans, — n’a encore manqué ici aucune cure, quoiqu’il n’y ait que des malades désespérés qui aient recours à lui. Aussi tous les médecins sont-ils enragés contre lui. »

À Vienne, c’était encore par un ami de Catherine que les voyageurs furent accueillis, par ce même Jospeh II qui avait eu avec elle une première entrevue à Mohilef, et qui à Kherson allait se faire prendre au filet de ses minauderies diplomatiques. Ils vécurent pendant plus d’un mois, du 15 novembre jusqu’au milieu de décembre, dans l’élégante simplicité de la cour de Schœnbrunn, et Paul écrivait à sa mère que son instruction gagnait beaucoup à ce séjour. L’hospitalité de l’empereur les suivit de Vienne jusque dans l’Italie entière. L’Autriche se trouvait chez elle à Florence, à Naples