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existaient des constructions très antiques. Le docteur Schliemann a fouillé aussi dans cet endroit et n’y a trouvé rien que le sol vierge, sans murailles, ni tessons d’aucune sorte. Quant aux sources elles-mêmes, je les ai visitées autrefois, et j’avoue n’avoir remarqué entre elles aucune différence de température. Il y en a d’ailleurs plus de quarante au-dessous de Bounar-Bachi, comme il y en a au pied de toutes les collines troyennes se rattachant au mont Ida.

Le résultat évident des sondages et des excavations faites à Bounar-Bachi et au-dessus, c’est qu’il n’y a jamais eu de ville en cet endroit, et que la petite acropole du Bali-Dagh ne remonte pas au-delà du vie siècle avant Jésus-Christ. Quant à Troie, si elle a existé quelque part dans le pays, il la faut chercher ailleurs. Nous brûlerons donc toutes les cartes troyennes basées sur l’hypothèse de Démétrius et de Le Chevalier, et nous attendrons, pour en dresser une autre, que des fouilles nouvelles nous aient appris quelque chose de plus. Comment donc M. Ernest Curtius, un des plus célèbres érudits dont se vante l’Allemagne, après avoir visité la Troade en 1871, lorsque les fouilles de MM. Lubbock, de Hahn et Schliemann avaient dit le dernier mot sur Bounar-Bachi, comment a-t-il pu, dans un discours prononcé à Berlin en novembre 1872, soutenir encore une opinion démontrée absolument fausse, et prétendre que Troie était dans un lieu où elle n’a pas laissé le moindre débris ? Lucain, parlant de cette ville, dit que « ses ruines mêmes ont péri ; » mais c’est une expression poétique et juvénile ; plus âgé, Lucain aurait su que les traces des villes, des villages, des hameaux même, ne périssent jamais entièrement, et que les habitations des hommes laissent après elles au moins quelques tessons par lesquels on reconnaît leur âge et souvent la civilisation du peuple qui les a produits. Or à Bounar-Bachi et au-dessus il n’y a pas une poterie antérieure aux siècles historiques ; mais M. Curtius avait admis toute sa vie l’opinion de Le Chevalier, de Choiseul, de Welcker et de tant d’autres ; il était difficile de changer de doctrine, d’avouer qu’on s’était trompé et de brûler ses dieux.

Les fouilles successives opérées autour de la plaine de Troie n’ont, jusqu’au point où cette étude nous a conduits, fourni que des résultats négatifs. Rien encore n’a attesté l’existence de la cité homérique dans le pays où on l’a toujours placée. Hissarlik seul nous reste à explorer. Si ce lieu nous répond de la même manière, nous donnerons pleinement raison aux orientalistes, et nous dirons que l’Ilion d’Homère n’a pas eu plus de réalité terrestre que Amarâvati, la cité céleste d’Indra. On remarquera toutefois que la question est allée en se simplifiant, que les fouilles contemporaines n’ont battu en brèche que la doctrine créée par Démétrius au iie siècle avant Jésus-Christ, mais que l’opinion antérieure et la tradition populaire