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même, presque aussi bien qu’à Milan. Arrivés à Trieste en janvier 1782, ils admirèrent la douceur de ce même hiver dont Catherine leur dépeignait les rigueurs à Saint-Pétersbourg. « Vos enfans, et surtout Alexandre, se portent mieux, leur écrivait-elle, le cadet tousse encore. Je crois qu’il y a bien eu de 10 000 à 15 000 personnes malades de la même maladie pendant dix jours. À Moscou, à Tver, à Novgorod, on n’entend de toutes parts que les mêmes nouvelles. Il y en a de Toula, de Kalouga, de Pleskof, qui disent la même chose. Imaginez-vous quelle belle harmonie que tout un empire qui tousse et éternue ! »

Venise fît sur les voyageurs un grand effet, Venise, « qui ne doit ressembler à rien de ce qu’on voit ailleurs. » La décadence de cette république leur inspira, paraît-il, des réflexions philosophiques, et pourtant ils ne prévoyaient pas qu’avant que quinze années se fussent écoulées, un général de la république française mettrait fin à son existence. Ils jouissaient, sans fâcheux pressentiment, de l’accueil ingénieux et galant qu’ils y trouvèrent. Le pape mettait le même empressement à recevoir nos « schismatiques. » Catherine put féliciter son fils de « deux bons baisers que le pape lui avait appliqués sur chaque joue. Il pouvait se vanter d’être en possession d’une rareté que guère catholique a emportée de Rome. » C’était le moment où sa sainteté se préparait à faire le voyage de Vienne pour tâcher de contenir le zèle réformateur de Joseph II. Catherine se raille des motifs qu’on attribuait à cette démarche du pape, de cette voix surnaturelle qu’il aurait entendue en disant la messe, et qui lui aurait ordonné d’aller à Vienne. « Toujours, ajoutait la tsarine avec une profonde intelligence des affaires européennes, toujours ce voyage fera-t-il plus de bien à sa santé qu’à ses affaires, » — paroles prophétiques qui pourraient servir d’épigraphe au voyage de Pie VI auprès de Joseph II, comme à celui de Pie VII auprès de Napoléon. Elle ne se lassait pas d’admirer avec ses enfans le contraste du passé et du présent sur cette terre étrange qu’elle appelait d’un mot qu’on a cru vrai pendant bien longtemps : la terre des morts.

En même temps, elle les priait de ne pas oublier la Russie. Déjà ils avaient trouvé à la cité de Trieste une ressemblance avec Peterhof, la villa du grand Pierre ; elle leur demande s’ils ne trouvent pas de rapport entre le palais de Parme et sa résidence de Tsarskoe-Sélo, et, tandis qu’ils sont absorbés dans la contemplation du Panthéon et du Vatican, elle leur promet une Rome nouvelle sur les bords de la Neva. « Quand vous reviendrez, leur écrit-elle, vous verrez une bonne partie des loges de Raphaël et plusieurs statues jetées en fonte depuis votre départ. » C’était le moment en effet où par ordre de Catherine on achetait en Italie des antiquités