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solution. La découverte en Suède d’une conspiration contre le régent acheva de tout gâter : le principal coupable était Armfelt, chef du parti russe. Il trouva un asile en Russie, et Catherine II refusa de livrer un homme qui s’était compromis pour elle. Dès lors il ne fut plus question des négociations commencées. L’ambassadeur de France à Stockholm profita de l’irritation du régent pour proposer une nouvelle fiancée, une cliente de la république : la princesse de Mecklembourg. Le duc de Sudermanie entra si passionnément dans ses vues que l’on fit bientôt, dans toutes les églises de Suède, des prières publiques au nom de l’Allemande. Le parti français triomphait à Stockholm ; l’ambassadeur de Catherine, Roumantzof, trouva bientôt la situation intenable et demanda son rappel ; la Suède était en proie à une fermentation belliqueuse. Le régent prenait une attitude provocatrice, et dépêcha un ambassadeur tout exprès pour notifier à la tsarine le mariage mecklembourgeois. Celle-ci avait signifié de son côté qu’elle ne recevrait pas l’envoyé. M. Geffroy[1] a déjà raconté à quels expédiens eut recours le malheureux diplomate, partagé entre la crainte de désobéir à son gouvernement et celle d’affronter le courroux de Catherine, pour éviter un éclat et peut-être une rupture. Il se fit verser par son cocher et transporter, enveloppé de linges, à Vyborg. Déjà les troupes russes se massaient sur la frontière de Finlande. Tout annonçait une guerre inévitable. C’est alors que l’impératrice fit partir pour Stockholm le général de Budberg, non pas en qualité d’ambassadeur, mais comme un simple voyageur chargé de lui transmettre des renseignemens.

Naturellement Budberg n’était pas le bienvenu. Il vivait à Stockholm dans l’isolement le plus humiliant ; les courtisans le fuyaient, et personne ne parlait même de le présenter au roi. Il eut pourtant la chance de rencontrer un Suisse qui connaissait personnellement un des professeurs du roi. Il apprit par lui la répugnance de Gustave pour le mariage allemand, et sur cet indice favorable dressa tout son plan de campagne. Il n’avait qu’à se tenir coi pour éviter quelque affront en attendant que la terreur des armes russes forçât les Suédois à lui faire des propositions. Maintenant on ne voudrait même pas l’écouter ; bientôt on en viendrait à le supplier. L’impératrice approuvait complétement son attitude : « le meilleur était de ne rien avoir à faire à ces gens-là aussi longtemps que le scélérat gouvernerait la Suède. » Le scélérat, c’était le comte Reuterholm, premier ministre du régent, qu’elle appelle aussi le vizir ou le jacobin Reuterholm. Catherine affectait d’ailleurs à cette époque de confondre avec Robespierre tous les ennemis de sa poli-

  1. Des Intérêts du Nord Scandinave dans la question d’Orient, dans la Revue du 15 février 1855.