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après avoir prévenu le commandant du corps d’armée et comptant que tout le monde accourrait au canon. C’était cette bataille du 6 qui, après avoir commencé ainsi, allait se dénouer avant sept heures du soir par une victoire inespérée pour les Allemands, et pour nous par une défaite ouvrant la Lorraine à l’invasion.

Certes durant cette longue et sanglante journée, il y avait de vaillans efforts. Aux attaques multipliées, acharnées, des Allemands sur les pentes de Spicheren, sur Stiring, les soldats de la division Vergé, de la division Laveaucoupet, répondaient avec une ardente vigueur. Un instant, après deux heures, ils purent se croire victorieux, en ce sens qu’ils avaient repoussé tous les assauts, qu’ils restaient maîtres du terrain, occupé par eux, et que le feu de l’ennemi semblait presque s’éteindre ; mais il est bien clair qu’il y avait une méprise désastreuse au camp français. Évidemment le général Frossard, ingénieur militaire de talent, mais n’ayant ni l’habitude de manier des forces devant l’ennemi, ni le coup d’œil du champ de bataille, le général Frossard ne voyait pas la situation. Il semblait n’avoir d’autre idée que de ne pas se laisser entamer, de maintenir ses positions. S’il avait mieux démêlé la vérité, il aurait compris qu’au lieu de se borner à recevoir le choc et de se retrancher indéfiniment dans une défense passive, quoique toujours courageuse, il devait attaquer à son tour, ramasser ses forces, et se précipiter sur cet ennemi qui l’assaillait vainement. Il le pouvait avec des soldats comme ceux qu’il avait ; il y aurait eu bien du malheur s’il n’avait pas réussi, puisque jusqu’à trois heures de l’après-midi les Allemands de la division Kamecke, avec tout ce qui avait pu arriver au premier moment, ne dépassaient pas 15 000 hommes, et le 2e corps comptait 28 000 hommes ! Le général Frossard laissait échapper l’occasion d’enlever la victoire lorsqu’il le pouvait ; plus tard, il n’était plus temps. À partir de trois heures, les Allemands grossissaient de tous côtés successivement. Le VIIIe corps rejoignait d’abord la division Kamecke. Le général Frossard n’avait plus seulement à repousser les attaques de front renouvelées avec des forces toutes fraîches ; une division du IIIe corps de la IIe armée arrivait sur la droite de ses positions de Spicheren par Saint-Arnual ; bientôt une autre division du VIIe corps, la division Glumer, arrivant par la route de Sarrelouis, le menaçait sur la gauche et sur ses derrières jusqu’au-delà de Forbach. À sept heures, après les plus énergiques efforts pour regagner ou défendre le terrain, il était débordé de toutes parts : c’était fini !

Tout réussit aux heureux. Les Prussiens avaient bien des chances d’être battus, et ils le méritaient. Engagée au hasard par une simple division, cette bataille était poursuivie avec une véritable incohérence. Pendant la journée, le commandement de l’action avait passé