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et qu’il faut connaître pour avoir une juste idée de cet esprit vraiment politique.

Après quelques notions générales sur l’histoire et la géographie de l’Espagne ancienne et moderne, entrant dans le détail, il accumule les remarques à la manière d’un témoin, non pas sans doute jaloux ni inquiet, mais qui se sent fort intéressé, lui et les siens, à une scrupuleuse enquête, à la fois nourrie de faits et de vues morales, d’informations utiles et de conseils pratiques. Ressources naturelles, caractère national, institutions, commerce, industrie, il s’applique à ces divers objets avant de sonder les causes d’une grandeur politique qu’il voit s’accroître sous ses yeux et dont il pressent le développement futur : c’est la constante pensée qui double le prix de son attentive étude.

« Le pays n’est pas suffisamment peuplé, dit-il. D’un village à un autre, il y a d’immenses espaces sans une habitation ; les villes ne sont pas assez nombreuses pour l’étendue du territoire ; les places fortes sont mesquines et la construction en est mal entendue. Toutefois le sol est fertile, on y récolte plus de froment que n’en consomme le pays ; il en est de même soit du vin, qu’on exporte par mer en Angleterre et en Flandre, soit de l’huile, que prennent aussi ces deux contrées et l’Égypte, pour plus de 60 000 ducats. L’Andalousie, dans sa partie basse, et la partie méridionale de la province de Grenade fournissent ces denrées, qui pourraient être beaucoup plus abondantes ; mais on ne cultive qu’autour des lieux habités, et fort mal. On exporte aussi beaucoup de laines, pour plus de 250 000 ducats, assure-t-on, et de la soie très fine, de Biscaye enfin du fer et de l’acier de bonne qualité, de la cochenille, du cuir, de l’alun… Intelligent et fin, l’Espagnol ne vaut rien cependant pour les arts mécaniques et libéraux ; presque tous les artisans et artistes qui sont à la cour du roi sont Français ou d’autres nations. L’Espagnol ne s’adonne pas non plus au commerce, dont il a honte, ayant presque toujours en tête une fumée de noblesse (uno fumo di fidalgo). Plutôt que d’accepter le négoce ou un travail quelconque, il préfère se donner au métier des armes avec un mince équipage, ou servir un grand en acceptant mille déboires et mépris, ou aller piller sur les grandes routes, ce qui, avec le roi actuel, ne se peut plus. Il y a cependant quelques commencemens d’industrie : à Valence, à Tolède, à Séville, on fabrique les draps et les étoffes brochées d’or. Peut-être est-ce de leur pauvreté que procède leur avarice. Sauf quelques nobles, ils vivent à l’étroit, et s’ils font quelques dépenses, c’est pour avoir un beau vêtement ou bien acheter une mule, étalant plus de richesse au dehors qu’ils n’en laissent au logis. Sachant vivre de peu, ils n’en sont pas moins cupides d’acquérir et d’amasser. C’est un dicton que vaut mieux seigneur français qu’espagnol : tous deux pillent le pays ; mais le Français dépense tout aussitôt, tandis que l’Es-