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prendre ? C’est plus difficile à présent, mais non pas impossible. » Guichardin refusa de désespérer jusqu’à ce que l’accord forcé entre l’empereur et le pape, au commencement de juin, lui eût ravi tout prétexte d’autorité. À partir de ce moment, il n’est plus rien ; il quitte la cour pontificale, désavoué et renié comme le principal auteur de la guerre qui vient d’attirer de si grands malheurs sur l’Italie. Chaque état italien l’accuse parce qu’il n’a songé qu’à l’intérêt général. Méconnu et déçu, il entre dans la retraite. En même temps, succombent les dernières espérances de la patrie commune ; la prise de Rome a consommé la ruine de l’indépendance italienne, et marque aussi pour la brillante époque de la renaissance le moment précis d’une décadence irrémédiable. Si la carrière active de Guichardin se fût terminée là, il aurait laissé un nom respecté, et l’histoire morale n’aurait le droit de relever ses précédentes hésitations, ses admirations et ses semblans de doctrines équivoques qu’à la condition d’ajouter qu’un généreux patriotisme, s’inspirant d’idées politiques supérieures à celles du commun des esprits de son temps, l’avait fait triompher de ces faiblesses et l’avait absous.


II.

Les Florentins, à la nouvelle de la prise de Rome, avaient chassé le cardinal de Cortone, représentant des Médicis et du pape Clément VII. À la suite de cette insurrection, le parti modéré, celui des ottimati, avait pris en main les affaires, et, sous le gouvernement de Piero Capponi, gonfalonier, la république allait jouir pendant deux années d’une tranquillité relative au milieu de l’effervescence générale. Guichardin en profita pour rentrer dans la ville ou habiter la campagne voisine, et c’est pendant ses loisirs qu’il composa une grande partie de son Histoire d’Italie. Ce qui règne dans cet ouvrage de détachement et de sérénité littéraire ne doit pas nous faire illusion sur les vrais sentimens de l’auteur, qui nous sont révélés par une pièce infiniment curieuse retrouvée dans ses papiers. C’est le moment où Guichardin, abandonné des papes, dont la politique inspirée par lui a si cruellement échoué, suspect à ses compatriotes, qui lui reprochent d’avoir délaissé ou trahi leurs intérêts pour ceux de la cour de Rome, abreuvé de dégoûts, inquiet de l’avenir, s’adresse à lui-même une Consolation qui est une des pages les plus instructives de son histoire intellectuelle et morale.

Reconnaissons d’abord ici un de ces retours vers les habitudes littéraires de l’antiquité, qui s’étaient continuées, disions-nous, jusque pendant la renaissance italienne. On sait quelle place occupait dans l’ancienne rhétorique le genre « consolatoire »[1]. Le

  1. Voyez dans le Compte-rendu des séances de l’Académie des Sciences morales de 1874 le travail délicat de M. Martha sur les Consolations dans l’antiquité.