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« Par la ruine de ton maître, dit l’auteur de la Consolation s’adressant à lui-même, tu as perdu la charge que tu occupais, charge si haute qu’un homme de la première naissance et du premier rang eût été honoré de l’avoir, charge honorable qui te plaisait infiniment et te mettait en réputation auprès de tous les princes chrétiens et dans toute l’Italie d’une façon que tu n’aurais jamais osé espérer ni souhaiter… Le regret d’avoir perdu tout cela est d’autant plus cuisant par le souvenir d’avoir conseillé une guerre si malheureuse ; mais sois assuré que ceux qui ont pris part à cette résolution doivent être affranchis de tous remords. Qui considérera les torts dont le pape avait à se plaindre, les progrès de l’empereur d’Allemagne vers la domination de l’Italie, la faiblesse des impériaux dans la péninsule, l’opportunité du concours des Français et des Vénitiens, conviendra que rarement on a commencé une entreprise si juste et si nécessaire avec de meilleures espérances de succès. Tu n’es donc coupable ni pour le conseil, que tu as donné raisonnable, ni à cause des résultats, puisque rien n’a manqué de ce qui était en ton pouvoir. Étant sans faute, tu dois être sans déplaisir. Les accusations qui s’élèvent contre toi tomberont d’elles-mêmes avec le temps. Dans l’émotion de malheurs extrêmes, nos concitoyens, peu habitués aux revers, entraînés par la passion, disent tout ce qui leur vient à l’esprit ; les uns sont entraînés par la douleur, les autres par l’envie, et leurs paroles rencontrent dans la multitude un crédit facile ; mais le peuple est changeant et les gens sages retiennent leur opinion ; la calomnie disparaîtra. »

Il reconnaît cependant que la retraite est pénible ; il énumère les raisons qui attachent aux affaires publiques celui qui les a une fois pratiquées ; il décrit enfin les joies et les ardeurs de l’ambition, et l’on sent qu’il trahit le secret de son âme.

« Ce qui, plus que toute autre chose, touche les cœurs généreux et les nobles esprits, c’est le désir d’être estimé et admiré des autres hommes, de maintenir vivante sa renommée, d’être montré au doigt comme Démosthène, qui se réjouissait lorsque, passant par la ville, il entendait la vieille femme revenant de la fontaine dire tout bas à sa voisine : Celui-ci est Démosthène. Le ménagement des affaires publiques et la grandeur qui s’y attache attirent les suprêmes hommages des hommes ; peut-être est-elle excusable, cette ambition qui semble nous égaler aux dieux. »

En vain l’auteur de la Consolation reviendra-t-il après cela aux lieux-communs sur les avantages de la retraite, il ne plaidera plus qu’une thèse convenue. Il ajoutera bien que, pour qui a goûté les avantages de la fortune, savoir s’en passer est grandir encore ; il citera l’exemple de Scipion, de Dioclétien ; mais ce ne sera plus là