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« Ce que disent les personnes pieuses, que celui qui a la foi fait de grandes choses, ou que, selon la parole de l’Évangile, la foi commande aux montagnes, ne signifie rien autre chose sinon que la foi crée l’obstination. Avoir la foi, c’est croire avec fermeté et presque avec certitude des choses qui ne sont point selon la raison, ou, si elles sont selon la raison, d’y croire avec une résolution plus grande que celle que donnerait la raison seule. Celui qui a la foi devient donc obstiné dans ce qu’il croit ; il marche dans sa voie intrépide et résolu, surmontant les difficultés et les périls. »

Ces vives saillies n’empêchent pas que Guichardin ne demeure enveloppé, sans trop de résistance, dans les habitudes religieuses de son siècle. Il n’a pas la religion sévère de Michel-Ange, la superstition peu gênante de Benvenuto Cellini, avec ses évocations et ses visions ; mais il s’en va en pèlerinage accomplir des vœux à Lorette, il paraît croire aux esprits et aux prédictions de l’avenir, nous l’avons vu mal affermi contre les magiciens et les sorciers. Du moins, s’il dispute pied à pied à la Providence le champ d’action que d’autres lui font très large, il croit cependant à cette action bienfaisante et juste, et cherche plus d’une fois un refuge dans l’idée de Dieu.

« Le magistrat, dans ses arrêts, ne doit pas, dit-il, subir le contrôle des hommes ; mais il reste soumis à celui de Dieu, qui connaît s’il a bien jugé ou prévariqué. — Ne dites pas : Dieu a aidé celui-ci parce qu’il était bon ; il est arrivé malheur à celui-là parce qu’il était méchant. C’est souvent en effet le contraire qui se vérifie, et néanmoins on ne doit pas accuser la justice de Dieu, ses desseins étant si profonds qu’il nous reste seulement à dire : Abyssus multa. »

Ces hautes pensées ont été la source persistante où il à puisé malgré tout plus d’une généreuse maxime, de nature à tempérer la trop commune aridité de son œuvre. Il savait voir les bons comme les mauvais côtés des choses, et la doctrine même de l’intérêt bien entendu l’invitait à préférer les moyens honnêtes ; sa hauteur d’intelligence le rendait d’ailleurs accessible aux honorables inspirations. Aussi pouvons-nous, à côté des expressions les plus détestables que nous ayons dû citer, placer des expressions différentes, qui nous remettront en mémoire le beau rôle auquel Guichardin a consacré une partie de sa carrière. Il s’y ajoutera une teinte de tristesse qui lui fait honneur, et qu’il serait injuste de négliger. On sent qu’il lutte ; obsédé par la vue du réel et par l’abus du sens pratique, il voudrait, ce semble, se dégager ; il y parvient quelquefois, et nous en avertit par un accent subit de sincère émotion.

« À qui estime la gloire tout doit réussir, parce qu’il ne regarde ni aux fatigues ni aux périls, ni à l’argent. Je l’ai éprouvé par moi-même ;