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en matière de principes. Au fond, un parti religieux ne peut pas avoir de principes politiques, et c’est pourquoi on ferait bien de lui interdire ce domaine. La loi suprême est pour lui l’intérêt d’une croyance à laquelle il rapporte tout, et qui est étrangère à la politique. Les pouvoirs n’ont de légitimité à ses yeux que dans la mesure des services qu’ils peuvent lui rendre. Quoi qu’il en soit, l’ultramontanisme, encouragé par ceux qui se flattaient de l’exploiter, ménagé et caressé par les oppositions, non moins imprévoyantes que les gouvernemens, devait tout naturellement céder tôt ou tard à la tentation d’exercer sur nos affaires extérieures l’influence qu’on lui avait laissé prendre au dedans. Contenu habilement sous le règne du roi Louis-Philippe, il ne réussit pas à entraîner la France dans la guerre du Sonderbund. Ses efforts furent plus heureux sous la république de 1848, et il contribua puissamment à lui faire entreprendre l’expédition de Rome.

Je dis qu’il y contribua, sans en être, comme on le croit généralement, le principal auteur. Cette expédition, destinée à porter des fruits si amers, comme toutes les entreprises où l’on s’engage sans en avoir nettement mesuré la portée, les conditions, les conséquences, fut en effet inspirée par des motifs très complexes. Les calculs et les passions politiques y prirent une part encore plus grande que les passions religieuses. Si les ultramontains y cherchèrent avant tout le moyen de rétablir avec le pouvoir temporel du pape la clé de voûte indispensable, selon eux, de l’ordre européen, les hommes d’état y virent, les uns un moyen assuré d’obtenir l’alliance du sentiment religieux dans nos luttes intérieures et de frapper au cœur l’aventureuse démocratie de 1848, les autres de relever, comme on disait alors, notre influence vis-à-vis de l’Autriche. Le prince Louis-Napoléon y vit surtout une occasion de prendre pied dans un pays sur lequel il avait dès lors des projets soigneusement dissimulés. Personne ne paraît avoir soupçonné à cette époque que le difficile n’était pas d’entrer à Rome, mais d’en sortir.

Ce qui est certain, c’est que l’expédition de Rome devint le point de départ de l’importance exagérée du parti ultramontain, de l’influence qu’il s’arrogea sur notre politique extérieure, et à ce titre seul elle fut un événement fâcheux. Ce parti s’habitua dès lors à considérer le rétablissement de la papauté temporelle comme sa conquête propre ; il se déclara prêt à la défendre envers et contre tous, prétendit lui subordonner tous les intérêts, tous les plans de notre politique nationale. Celui même qui avait le plus encouragé cette prétention ne tarda pas à en éprouver les inconvéniens. Lorsque l’empereur Napoléon III, réalisant un rêve de sa jeunesse, que secondait d’ailleurs toute la force des idées, des aspirations et des