Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nant que de si subtils sous-entendus aient échappé à ceux qui nous jugent à distance ?

Personne n’ignorait d’ailleurs que parmi les conseillers intimes du pouvoir actuel il s’en trouvait plus d’un pour lui représenter cette dangereuse tolérance comme un excellent calcul. On lui montrait tout autour de nous en Italie, en Allemagne, en Suisse, les catholiques aux prises avec leurs gouvernemens, les guerres de religion à la veille de renaître. L’agitation ultramontaine établissait entre eux et nous une solidarité dont nous serions tôt ou tard appelés à recueillir les fruits. N’était-ce pas là une levée de boucliers toute prête pour un jour de danger ? N’était-il pas d’une politique prévoyante d’encourager par tous les moyens la formation d’une grande ligue catholique dont nous serions un jour les chefs naturels ?

On sait combien depuis nos malheurs s’est développé notre goût fâcheux pour la méthode conjecturale, et combien nos faiseurs de plans se trouvent plus à l’aise sur le terrain des hypothèses que sur celui des faits. Qui ne reconnaîtrait dans ces rêveries le triste écho des illusions qui nous ont perdus ? Ce n’est malheureusement pas en adoptant une politique renouvelée des croisades que la France peut reconquérir son rang dans le monde. Le temps de Pierre l’Ermite est passé, il ne peut pas renaître, et ses ridicules continuateurs ne nous rendront pas le prestige que nous avons dû aux idées libérales. Il y a, Dieu nous garde de le méconnaître, dans les plaintes des catholiques de la Suisse et de l’Allemagne plus d’un grief légitime. Toute restriction de la liberté de conscience, fût-elle provoquée, comme ç’a été parfois le cas, par d’injustes exigences, est à nos yeux un abus de pouvoir qu’on finit toujours par expier ; mais nous n’avons pas à prendre parti dans des débats où il n’est nullement facile de démêler le vrai du faux, et où personne n’est d’ailleurs disposé à accepter notre juridiction. Ceux-là se trompent étrangement qui supposent que ces mêmes catholiques nous reconnaîtraient le droit d’intervenir dans leur querelle. Le plus grand service que nous puissions leur rendre est de ne pas nous en mêler. Habituons-nous donc à croire que nos voisins sont en état de se passer de notre protection et de régler eux-mêmes leurs affaires. N’avons-nous pas payé assez cher le droit de songer avant tout à nos propres embarras ?

Nous n’avons le droit de négliger aucune chance favorable. Si jamais les événemens nous offraient une occasion de ce genre, nous devons rester maîtres de la saisir. Gardons-nous donc d’aliéner d’avance notre liberté d’esprit et d’action. C’est dans des intérêts politiques fortement constitués et non dans des éventualités au