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rudimentaires : contes de nourrices, fables et fabliaux, théâtre de marionnettes. Que le génie s’en approche, que de sa baguette d’or il touche au brut caillou, et la lumière éclatera soudain, et le monde s’étonnera qu’un germe si obscur ait pu contenir tant de merveilles. Ainsi procède Shakspeare, ainsi Molière, prenant leur bien où ils le trouvent, ainsi les tragiques anciens dramatisaient leurs mythes ; Goethe et Mozart n’ont pas fait autre chose, et voilà comment, l’art et la poésie aidant, Faust et Don Juan, partis des marionnettes en sont venus où nous les voyons aujourd’hui.

Occupons-nous de cette réouverture à Ventadour : assemblée nombreuse et brillante, charmée de se retrouver en pays, de connaissances et de faire fête à ce personnel du chant et de la danse déjà depuis trop longtemps perdu de vue. Qu’allait-il advenir de l’expérience, comment en si restreint espace fonctionnerait l’immense fourmilière ? La curiosité, l’intérêt de la soirée, étaient là. Au premier acte, où le drame file son chemin d’un pas si rapide, où la mise en scène n’a pour ainsi dire point de part, tout a bien marché ; c’est au second seulement, et pendant le bal, que l’encombrement a paru ; mais alors ce fut un vrai fouillis, les chanteurs, les choristes, le corps de ballet, se serraient les coudes, impossible de circuler ; la masse énorme semblait peser sur l’orchestre et les danseuses sautaient littéralement dans la salle comme dans les bals masqués. On a pu se rendre compte à ce moment de ce qu’est l’optique du grand Opéra, où les choses se passent pour être vues de loin, où la mimique, la voix, l’expression du visage, ne portent qu’à la condition d’être exagérées. Vu ainsi, nez à nez, tout ce monde habitué au cothurne exerçait sur le public une sorte d’action fantasmagorique. Grimé à outrance, M. Gailhard, dans Leporello, avait l’air de Gargantua. « C’est formidable, » eût dit Victor Hugo. Seul, entre tous, M. Faure paraissait être chez lui ; formé aux variations climatériques par ses continuels voyages, il avait du premier coup pris le ton, le geste de l’endroit, et vous ne vous aperceviez d’un changement qu’à la résonnance plus vigoureuse de sa voix. Dans le finale du second acte, cette voix, se doublant du magnifique organe de M. Gailhard et des chœurs de l’Opéra, produit un effet qui marquera parmi les plus beaux souvenirs de la salle Ventadour. J’engage Mlle Berthe Ferrucci, qui joue dona Anna, à modérer son tempérament dramatique. Pas tant de zèle, c’était trop déjà pour l’Opéra, la salle actuelle exige baucoup moins encore, tâchons de nous conformer à sa mesure. Du reste, Mlle Ferrucci n’a que bon vouloir ; la voix est charmante, le talent travaille à se former, et puisqu’au théâtre la beauté compte, reconnaissons que de ce côté la figuration de dona Anna n’avait jamais rencontré mieux. Somme toute, en dépit de certains inconvéniens auxquels on devait s’attendre, l’expédition n’a point mal réussi. Avec le temps et par les soins d’un intelligent régis-