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seur, tout cela s’organisera, se tassera. Peut-être aurait-il mieux valu construire, improviser à grande hâte, une salle sur l’ancien emplacement ; mais puisqu’on ne l’a point fait, puisqu’après d’interminables délibérations on a pris possession de Ventadour, il n’y a plus à se demander s’il eût été préférable de choisir l’Odéon ou le Châtelet.

À Don Juan a succédé la Favorite, demain viendra Faust, et d’ici à quelques semaines un certain répertoire fonctionnera, mais ce ne sera jamais l’Opéra. Il s’agit donc au plus vite de s’ingénier à piquer l’attention du public, à réveiller son intérêt par d’autres moyens, c’est maintenant qu’il faudra remplacer par de nouvelles combinaisons de spectacles et d’heureux débuts l’appareil et le prestige que, jusqu’à nouvel ordre, on est condamné à ne plus avoir. Pas d’illusions ni de mirages ! De la nouvelle salle, nous en sommes encore loin, surtout si l’état se charge de la terminer, ce qui me semble à tout prendre le plus convenable, attendu qu’on ne se figure guère l’état devenu le débiteur d’une direction de théâtre, et par ce fait aliénant pour une durée de dix à quinze ans ses droits d’investiture et de perpétuelle surveillance. Même en supposant que les travaux marchent du meilleur train, il semble bien difficile que le provisoire cesse à délai si bref. On peut donc se regarder comme embarqué pour un an tout au moins et tâcher de s’organiser de façon à gagner Colchos sans encombre. Monter un grand ouvrage, on n’y saurait songer. Sans doute, l’heure et le lieu seraient favorables au Paul et Virginie de M. Massé ; mais l’auteur demande l’impossible et prétendrait ne livrer son opéra qu’à la condition d’avoir M. Capoul et la Patti pour interprètes ; mariez donc le Grand-Turc avec la république de Venise ! M. Victor Massé comprend bien mal sa propre gloire ; où ces rêves du paradis de Meyerbeer le conduiront-ils ? Les années se passent, l’homme vieillit, et sa musique se démode. C’est le sort qui menace l’auteur de Paul et Virginie, et qui infailliblement l’atteindra avant que la fortune ait amené la conjonction de ses deux astres. Rien n’empêcherait alors une reprise sommaire de la Reine de Chypre, ne fût-ce que pour enseigner aux honnêtes gens que l’école française ne commence pas à M. Thomas. L’ouvrage d’Halévy n’offre aucun obstacle à son emménagement. C’est là plutôt un drame intime du genre de la Favorite, où le pathétique de l’action prime la mise en scène et dans lequel M. Faure trouverait l’emploi de ses plus remarquables facultés. Il y aurait encore le petit répertoire, le Comte Ory, le Philtre, le Barbier, avec Mme  Carvalho, tout cela rajusté, rentoilé, formant spectacle avec un ballet. Et cet admirable Fidelio, que j’allais oublier ! Vous représentez-vous les masses chorales de l’Opéra s’attaquant au grand finale, quelle résonnance et quel effet ! Ce serait à faire éclater la salle, et j’avoue que je ne comprendrais guère qu’un directeur eût assez peu le sentiment de l’art et de ses