Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/765

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nostalgie profonde et d’espérances frénétiques, constitueront une force qu’il ne faut pas méconnaître, mais une force comme celle du judaïsme dispersé, incapable d’agir d’une manière durable sur la politique, et destinée à devenir avec le temps un simple souvenir.

« Vous oubliez, me dira-t-on, les services que l’esprit révolutionnaire rendra sans le vouloir au principe qui s’est posé en adversaire direct de la révolution. Vous ne voyez pas que, toujours immuable au milieu d’un chaos d’idées contradictoires, incapables de rien fonder, la papauté bénéficiera un jour de ses fautes, et régnera de nouveau comme ayant été l’âme de la sainte-alliance contre la révolution. » Cette vue de l’avenir ne me paraît pas vraie. D’abord la révolution ne se comportera pas dans les pays germaniques et slaves comme elle l’a fait dans les pays latins. Si jamais la révolution atteint profondément ces peuples, ce n’est pas la papauté qui les sauvera. La papauté se présentera chez eux bien moins comme le remède à la révolution que comme un des fauteurs de la révolution. En outre le raisonnement que je combats, et qui est familier aux catholiques intelligens, serait juste, si la solidité du navire était à toute épreuve. Or elle ne l’est pas. Ce navire, autrefois si bien fait pour surnager dans les bourrasques, on en a changé toutes les proportions. Le centre de gravité en est déplacé. Le plus petit corps, pourvu qu’il soit insubmersible, l’emporte sur la plus furieuse tempête. C’est ainsi que la raison et la science, toutes faibles et désarmées qu’elles paraissent, sont éternelles, car elles sont toutes composées de vérités. Rien de ce qui est en elles ne peut mourir ; sans cesse déprimées, elles surnagent toujours ; mais la papauté est entrée dans la voie des naufrages. Son parti-pris de ne pas voir la réalité, son attente certaine d’un miracle dont le ciel lui est redevable, ont de la grandeur, et ce n’est pas nous qui assisterons sans respect à un spectacle qui étonnera l’avenir. Le 20 septembre 1870, au point du jour, quand le premier coup de canon fut tiré contre la porte Pie, les fervens souriaient encore et disaient : « Ils n’entreront pas ! » Ces attentes obstinées font commettre bien des fautes. C’est ainsi que les Juifs perdirent leur temple, sous prétexte qu’au dernier moment Dieu enverrait des légions d’anges pour le sauver. C’est ainsi que l’on compromet tous les jours la France, au nom d’un passé de miracles et de protections surnaturelles. La philosophie n’exclut pas la foi en un idéal de justice vers lequel toute conviction sincère a le droit de se tourner avec un sentiment pieux ; mais elle regarde comme un acte d’orgueil de croire qu’on est nécessaire aux plans divins, et que la Providence veille sur vous, quelque faute que l’on commette, quelque peu de souci que l’on ait de s’éclairer.