Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/787

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connu sous le nom de Camargue, où s’élèvent les remparts d’Aigues-Mortes, debout et intacts tels que Philippe le Hardi les a construits en 1272.

Né sur le versant occidental du Saint-Gothard, au pied du glacier qui porte son nom, le Rhône parcourt le Valais dans toute sa longueur ; puis, tournant vers le nord-ouest, il entre dans le lac Léman, où il donne naissance à un delta lacustre qui continue la vallée du Valais de Saint-Maurice à Villeneuve. Dans ce trajet, deux cent cinquante-sept glaciers, ayant une superficie de 1 037 kilomètres carrés, lui envoient leurs eaux chargées de la boue qui résulte de la trituration des roches encaissantes. Plus les chaleurs sont fortes, plus l’étiage du fleuve est élevé, tandis que la Saône, alimentée seulement par les eaux pluviales, voit son niveau baisser à mesure que la sécheresse se prolonge ; alors le Rhône, coulant toujours à pleins bords, supplée par sa richesse à l’indigence de la rivière paisible qu’il rencontre en sortant de la double chaîne de montagnes qui le retenaient prisonnier. En hiver, quand les glaciers ne fondent plus, quand la neige durcie couvre les Alpes et le Jura, le Rhône, réduit à un mince filet d’eau qui s’échappe du lac de Genève, rencontre à Lyon la Saône, grossie par les pluies, et c’est elle qui à son tour remplit le lit commun qu’ils occupent jusqu’à la mer. En entrant dans le lac Léman, le Rhône y dépose toutes les impuretés dont il était chargé ; à Genève, en sortant du lac, ses eaux pures et transparentes, d’un bleu indigo, font l’admiration du voyageur ; mais déjà au bout d’un kilomètre l’Arve impétueuse, descendue des glaciers du Mont-Blanc, lance ses eaux troubles au milieu de cet azur. Pendant quelque temps, les deux courans coulent l’un à côté de l’autre sans se confondre ; mais bientôt ils se mêlent, et les eaux du Rhône deviennent troubles : elles ne se purifieront plus, car successivement l’Ain, la Saône, l’Isère, la Drôme, l’Ardèche et la Durance lui apportent le tribut de leurs eaux plus ou moins chargées de sables ou de graviers.

La pente du Rhône n’est pas uniforme ; elle varie dans les différentes sections de son parcours. La source du fleuve est à 1 760 mètres au-dessus de la mer, et jusqu’à son entrée dans le lac Léman la pente est de 7 mètres par kilomètre ; de la sortie du lac à Lyon, elle se réduit à 1 mètre par kilomètre, de Lyon à Valence à 0m,51 ; elle augmente de Valence à Avignon et atteint 0m,64 ; à Beaucaire, elle n’est plus que de 0m,30, et à Arles de 0m,12 par kilomètre. Ainsi le torrent impétueux qui se précipite du Saint-Gothard au lac de Genève devient dans les plaines de la Provence un fleuve majestueux dont le cours se ralentit à mesure qu’il approche de son terme. Ce ralentissement nous explique la formation du delta de la Camargue.