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ment sur cette pointe par M. Ch. Lentheric, ingénieur des ponts et chaussées. Des mesures exactes lui ont permis de constater que depuis 1869, année de l’achèvement du phare, celui-ci est déjà de 40 mètres plus éloigné du rivage qu’il ne l’était à l’époque où il fut achevé. Dans cent ans, le phare sera à 1 000 mètres environ du rivage, et dans dix-huit siècles, si la mer ne détruisait pas souvent dans ses colères les travaux accomplis pendant le calme, ce cordon pourrait rejoindre la côte à la hauteur des villages de Perols et de Palavas, non loin de Montpellier. Alors le golfe d’Aigues-Mortes sera un marais salant séparé de la mer comme ceux de Mauguio ou du Repausset ; mais ces atterrissemens, sensibles à l’ouverture du golfe, ne le sont pas dans sa concavité, qui n’a pas changé depuis le XIIIe siècle. Il y a plus : dans les parties de la côte sablonneuse qui sont en retrait sur les autres, la mer démolit souvent les dunes par les gros temps, et la plage recule au lieu d’avancer. Ainsi deux redoutes, bâties sous Louis XIV à l’entrée du grau d’Orgon et du Grau-Neuf sont maintenant dans la mer à une certaine distance du rivage.

Il est une erreur émise d’abord par les premiers historiens du Languedoc, Guillaume de Catel[1] et Pierre d’Andoque[2], reproduite en 1656 par la Gallia christiana[3] et une foule d’auteurs, y compris les dictionnaires géographiques les plus récens, enseignée encore dans les cours de nos écoles officielles, et généralement admise par tout le monde, qui se formule ainsi : Aigues-Mortes était un port de mer, puisque saint Louis s’y est embarqué ; or Aigues-Mortes n’est plus sur le bord de la mer, donc la mer s’est retirée. Cette erreur repose sur deux faits positifs mal compris et mal interprétés. Le premier, c’est que saint Louis est parti en 1248 d’Aigues-Mortes pour la terre-sainte. En résulte-t-il nécessairement qu’Aigues-Mortes fut un port de mer ? Londres, Liverpool, Rouen, Bordeaux, Nantes, Hambourg, Venise, sont des ports d’embarquement et ne sont pas des ports de mer. Saint Louis s’est embarqué à Aigues-Mortes, et nous dirons quel trajet il a suivi pour arriver à la mer. Le second fait, qu’on admet comme probant, c’est qu’on voit encore au pied des remparts, du côté de la mer, de gros anneaux scellés dans la pierre et qui devaient servir, dit-on, à amarrer les navires ; mais le quai qui les sépare de l’étang de la Tille est un remblai des terres enlevées pour creuser le canal

  1. Mémoires de l’histoire de Languedoc, 1633.
  2. Histoire du Languedoc avec l’état des provinces voisines, 1648.
  3. « Civitas aquarum mortuarum quæ fuit ædificata tempore regis Sti Ludovici quia tune erat ibi maris portus ; distat nunc pelagus ab eadem civitate miliario et amplius tractuque temporis ampliori spatio distabit. » T. VI, col. 432. — Édition de 1739.