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remonter le chenal maritime. Malheureusement, dans les hautes sphères gouvernementales où se décident les travaux publics d’un intérêt général, le port d’Aigues-Mortes est pour ainsi dire frappé d’interdit. La vieille légende du retrait de la mer se combinant avec les souvenirs de l’ensablement jadis trop réels des étangs et du port, enfin les effets désastreux de l’inondation du Rhône en 1840, ont laissé une impression défavorable dans l’esprit des directeurs de nos travaux publics ; leur attention s’est toujours portée exclusivement sur le port de Cette. On a oublié qu’Aigues-Mortes était désormais mis à l’abri des inondations du petit Rhône par les chaussées qui le bordent, que les autres branches sont éteintes depuis François Ier, et que les bassins du port communiquent avec la mer par un large chenal rectiligne de six kilomètres. On redoute l’ensablement de ce chenal au Grau du Roi ; mais les eaux du Vidourle canalisé, se jetant dans l’étang du Repausset, débouchent dans ce canal près de la mer, et entraînent les sables amenés par le flot qui pourraient l’obstruer. Il y a plus, les limons du Rhône, entraînés par le courant littoral, ne pénètrent pas dans la concavité du golfe d’Aigues-Mortes, comme nous l’avons fait voir ; ils vont directement se jeter sur la côte de Perols et de Palavas, près de Montpellier. M. Ch. Lentheric[1], ingénieur chargé des travaux maritimes d’Aigues-Mortes, s’est assuré, par des sondages répétés fréquemment de 1864 à 1869, que, jusqu’à 200 mètres en face de l’entrée du Grau du Roi, les profondeurs ne changent pas. Après les plus violentes tempêtes du sud-est, si le sable apporté diminue la profondeur de quelques décimètres, ce sable ne reste pas en place et est de nouveau entraîné au large. Ces limons, qui n’entrent pas dans le golfe d’Aigues-Mortes, vont obstruer les graus de Perols, de Palavas, et les passes du port de Cette, comme l’a constaté M. Salva, ingénieur de ce dernier port. Pour maintenir dans ces deux passes une profondeur de 5 à 6 mètres, de nombreuses dragues enlèvent annuellement plus de 100 000 mètres cubes de sable.

Les ports ne sont pas uniquement destinés à servir directement les intérêts du commerce ; ils le favorisent encore indirectement en offrant des points de refuge aux navires assaillis par le mauvais temps. Or sur toute la côte du Languedoc il n’y a qu’un seul port de refuge, celui de Cette. C’est le sud-est qui est le vent des tempêtes dans la Méditerranée. Soulevant les vagues depuis les côtes d’Italie et de Sicile, il pousse les navires vers celles de France. Ceux

  1. Mémoire sur les conditions nautiques du golfe et du mouillage d’Aigues-Mortes, 1872.