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tranquille, car là, à l’horizon prochain, resplendit le royaume de la lumière, dont les rayons sont descendus jusqu’à elle. J’ai vu les paysages de la Hollande si indiciblement pensifs et rêveurs, j’ai vu les paysages romains d’une si tragique tristesse, aucun ne m’a parlé avec une éloquence plus originale que celui-là le langage de la mélancolie.

Un autre paysage remarquable encore, mais où cette fois l’Allier ne joue aucun rôle, est celui qui vous accompagne en allant au château de Busset, en passant par le lieu dit de l’Ardoisière. C’est le même pendant toute la route ; mais il est d’une si verdoyante sauvagerie qu’on ne s’en lasse pas. On serpente pendant trois quarts d’heure entre deux remparts de montagnes qui interdisent à la vue de contempler d’autre spectacle que celui de leurs croupes chargées d’arbres sombres et de leurs crêtes impérieuses. Sans être d’une hauteur excessive, ces montagnes seraient encore de dimensions suffisantes pour produire la sensation de l’écrasement, si la végétation qui tapisse leurs flancs n’était là pour chasser toute rêverie trop grave ; la rencontre d’une pauvre femme qui s’est assise avec son fardeau de bois mort à ses côtés à la base d’une de ces géantes m’en est une preuve. Elle est là, en face de moi, à portée de ma main, et Dieu qu’elle me paraît petite ! Deux ou trois chèvres au-dessus d’elle broutent la verdure de la montagne, et ces gentils animaux tiennent dans le paysage fauve beaucoup plus de place qu’elle ; la stature de la montagne la réduit vraiment à l’état de naine microscopique. Le long de votre route, un bruyant voyageur vous accompagne, mais en sens inverse, car il descend pendant que vous montez ; ce voyageur, c’est le petit torrent du Sichon, abondant en truites délicieuses, qui, de cascade en cascade, saute avec la pétulance sauvage et les clameurs tapageuses d’un petit paysan bien portant et joyeux jusqu’à la plaine, où il arrive comme essoufflé et s’apaise enfin. Si sain à l’imagination et si reposant aux yeux est ce paysage resserré et sans horizon, qu’on l’abandonne à regret, et qu’on est comme désappointé lorsqu’arrivé au plateau qui le couronne on voit se dresser devant soi, à l’extrémité de ce plateau, le château de Bourbon-Busset, prétexte et but du voyage.

Ce château est la résidence héréditaire des comtes de Bourbon-Busset depuis l’origine de ce rameau secondaire de la maison de Bourbon. Qu’est-ce donc que cette famille qui porte un si grand nom et dont les membres bien que reconnus authentiquement cousins des rois de France, n’ont jamais cependant tenu que l’état de simples gentilshommes ? Très probablement beaucoup de nos contemporains avoueraient qu’ils ignorent quel fut exactement le fondateur de cette maison sans se douter qu’il est peu de personnages historiques qu’ils connaissent aussi parfaitement ; c’est ce