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armes le jour où ce coup de canon bien pointé, rendu célèbre par l’Henri VI de Shakspeare, enleva le comte de Salisbury, et à l’avant-garde, sous les ordres de la Pucelle, lorsque la ville fut délivrée. Vingt-quatre ans après nous le retrouvons en Bordelais, assiégeant Chalais, livrant la bataille de Castillon où périt ce Talbot qu’on peut appeler dans cette longue guerre l’Anglais par excellence, et mourant lui-même de ses blessures après avoir frappé ce coup suprême et décisif. Au milieu de ces guerres perpétuellement compliquées de trahisons, de défections et de retours, grâce à l’extrême diversité des intérêts particuliers, Jacques de Chabannes resta invariablement fidèle à la couronne de France et à son suzerain immédiat, le duc de Bourbon. Ainsi firent du reste tous les membres de la famille. Jacques avait un frère, sinon plus vaillant, au moins plus hardi que lui, Antoine de Chabannes, comte de Dampmartin, homme d’audace et de coup de main, soldat alerte et éveillé, de bon œil et de fine oreille, partisan peu scrupuleux sur les moyens. Le si amusant chroniqueur de la cour de Bourgogne, Olivier de La Marche, nous a laissé le récit d’un procès soulevé par Jacques de Chabannes devant les ducs de Bourbon et de Bourgogne contre un certain seigneur bourguignon de Pesmes qui avait enlevé d’assaut diverses maisons et pillé diverses propriétés de son frère Antoine en emmenant prisonnier son fils, enfant de dix ans. Ce procès, qui nous montre les mœurs guerrières de la féodalité subsistant encore en plein XVe siècle, nous révèle aussi qu’Antoine de Chabannes ne le cédait pas en violence à son ennemi, et que les maux dont il se plaignait étaient les représailles de ceux qu’il avait lui-même infligés. De fait, Antoine fut à diverses reprises capitaine d’écorcheurs, et en cette qualité commanda nombre d’expéditions irrégulières ; mais il pouvait dire pour sa défense que ces expéditions, n’étant dirigées que contre les ennemis du roi, Bourguignons et Anglais, étaient une preuve de sa fidélité à la couronne, et l’excuse était bonne et vraie. Il fut en effet fidèle à Charles VII jusqu’à être presque infidèle envers le duc de Bourbon, car il semble avoir été de ceux qui, pressentant l’inévitable avenir, penchèrent dès lors du côté de la couronne plus volontiers que du côté des intérêts féodaux. Lorsque le dauphin, le futur Louis XI, entreprit la conspiration de la praguerie, Antoine de Chabannes la dénonça à Charles VII. Louis se retira en Dauphiné, continuant de là à comploter contre son père. Charles VII résolut alors de le faire enlever, et ce fut Antoine de Chabannes qu’il chargea de l’exécution de ce projet ; mais le rusé dauphin, ayant eu vent de l’entreprise, eut recours à un ingénieux stratagème. Il ordonna qu’on lui servît un dîner dans une forêt où il allait chasser d’ordinaire, fournissant ainsi en apparence à Chabannes plus de facilité pour le prendre, en réalité se préparant plus de sécurité pour