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épouvantail pour tous les bâtimens que le vent amenait en vue des rivages de la Crète, et la navigation neutre put reprendre, dès les premiers mois de l’année 1828, son cours habituel et paisible vers les ports de la côte de Syrie. S’il y avait encore quelques bandits épars dans l’Archipel, ces bandits du moins n’avaient plus de forteresse.

Trompés par la faveur dont leurs prétentions les plus excessives avaient joui jusqu’alors, les Grecs s’étaient flattés que le traité de Londres leur apporterait, sous forme de médiation, un secours complaisant ; ils ne devaient pas tarder à s’apercevoir de leur erreur. C’était une tutelle et une tutelle sévère que leur réservait l’Europe. Dès le 24 octobre, quand le sang de Navarin fumait encore, les amiraux se chargeaient les premiers de dissiper les illusions du corps législatif. « Nous ne vous permettrons pas, écrivaient-ils, de porter l’insurrection ni à Chio, ni en Albanie ; nous ne voulons pas que, par ces expéditions imprudentes, vous exposiez les populations à être massacrées par les Turcs. » De pareilles injonctions pouvaient sembler cruelles et jusqu’à un certain point injustes ; elles prenaient surtout cette apparence quand il s’agissait de Chio. Depuis la fatale journée qui avait jeté dans l’esclavage leur malheureuse patrie, des milliers de Chiotes, « échappés, suivant le texte même de l’humble supplique dont j’emprunte les termes, au glaive d’un furieux tyran, » erraient en tous lieux, « sans trouver où cacher leur nudité et leurs pleurs. » Ils n’étaient soutenus que par l’espoir de pouvoir « en un jour plus serein » reconquérir le sol natal. Ce jour venait enfin de luire. Les souverains, du haut de leur trône, avaient jeté un regard compatissant sur la Grèce ; « ils avaient pris en main les droits de l’humanité souffrante. » Les réfugiés chiotes s’étaient alors rassemblés ; ils avaient, selon l’antique usage, élu leurs primats et leurs conseillers. Une flotte venait d’être équipée à l’aide de contributions volontaires. Plus de la moitié des matelots embarqués sur ces bâtimens étaient des Chiotes ; tous s’engageaient à servir gratuitement. Les capitaines, on les avait choisis « parmi les plus réglés et les plus obéissans. » — « Jamais, disaient aux amiraux les députés des Chiotes libres, Démétrius Maximos et Athanasio Raphaëlis, jamais expédition aussi régulière, aussi bien combinée, n’avait été formée en Grèce. » Le gouvernement d’Égine approuvait ce projet. On lui avait demandé le corps régulier de Fabvier et un détachement de troupes irrégulières ; il avait accordé l’un et l’autre. Il n’y avait dans toute l’île de Chio, — on s’en était assuré, — que 300 soldats réguliers, autant d’irréguliers et environ 600 habitans turcs. Comment le succès serait-il un instant douteux ?

Sans attendre une autorisation qui eût été certainement refusée,