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Cependant, à la première sommation reçue par l’intermédiaire du capitaine du Parthian d’avoir à renoncer à leurs desseins, les émigrés chiotes avaient jeté les hauts cris. Comment ! c’étaient les amiraux des puissances chrétiennes, ces chefs en qui la Grèce mettait tout son espoir, qui voulaient faire rappeler de Chio les troupes débarquées et abandonner ainsi les malheureux habitans de cette île à la furie des Turcs ! Ne savait-on pas que le renouvellement d’une scène plus terrible que celle du passé suivrait de près le départ des soldats de Fabvier ? Il ne resterait plus aux Chiotes qu’à s’ensevelir tout vivans dans les tombeaux de leurs pères. « La terre de notre patrie, disaient-ils, n’a pas encore bu tout le sang dont on l’a abreuvée. Nos femmes, nos enfans, nos mères, sont retenus en esclavage dans le fort. N’obtiendrons-nous pas un répit de la compassion des souverains chrétiens, de la bienveillance des trois amiraux ? »

Les amiraux malheureusement n’avaient plus besoin d’insister. L’expédition de Chio se désorganisait d’elle-même ; elle avait le sort de la tentative de Vassos et de Kriezotis sur Tricheri, du général Church et de Kostas Botzaris dans l’Hellade occidentale. Ces capitaines, au premier bruit de l’approche des troupes turques, s’étaient vus dans la nécessité de licencier leur armée. À Chio, il n’y avait plus, dès le mois de décembre, que les tacticos sur la fidélité desquels on pût encore compter. « Des malveillans, disait Fabvier dans sa proclamation, se font un jeu d’effrayer le peuple. Je ne retiens personne. Tous ceux qui veulent fuir sont libres de le faire. Qu’ils partent, emportant avec eux ce qui leur appartient ; mais une si belle contrée ne doit pas être habitée par un vil troupeau d’esclaves. En conséquence, voici ce que j’arrête : les biens meubles et immeubles des fuyards seront confisqués, moitié au profit des braves qui attendent en chantant l’arrivée de l’ennemi, moitié au profit de la chose publique. Je me charge de faire ratifier ces dispositions par le gouvernement de la Grèce, et j’invite les démogérontes à les publier. »

Les inquiétudes propagées par les malveillans n’étaient pas, quoi qu’en pût dire Fabvier, sans quelque fondement. Le siége de la citadelle n’avançait pas, et la flotte de Gallipoli s’apprêtait à franchir les Dardanelles. Tahir-Pacha, devenu, malgré le désastre de Navarin, le favori du peuple et du sultan, commandait cette expédition. Les primats de Chio élevèrent de nouveau leur voix suppliante ; ils demandaient qu’on arrêtât les bâtimens turcs. « Cette requête, écrivait l’amiral Codrington à son collègue, ne peut être accueillie, selon moi, que par un refus catégorique. L’expédition de Chio a été faite contrairement à notre avis et évidemment au grand préjudice de la Grèce. Que ceux qui l’ont entreprise en subissent les conséquences. » Répondant directement à la demande des députés chiotes,