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litres par an. De 1845 à 1869, l’excédant des entrées a été de 50 millions d’hectolitres, soit 2 millions d’hectolitres par année moyenne. Enfin, si l’on recherche l’excédant d’importations qui se rapporte aux dix dernières années de cette période, on voit qu’il dépasse 28 millions d’hectolitres, ce qui est bien près de 3 millions d’hectolitres par an.

On peut prévoir sûrement que, malgré tous les progrès de notre agriculture, nous continuerons à importer des masses croissantes de blé étranger, et que nous sommes destinés à devenir ainsi de plus en plus un peuple importateur. Comme toutes les industries, l’agriculture s’attache à produire les denrées les plus recherchées par la consommation et dont le prix s’élève le plus vite : elle n’a pas de meilleur moyen d’accroître ses bénéfices. Bien que le prix du blé ne soit pas resté tout à fait stationnaire, ainsi qu’on le croit communément, il est cependant facile de voir que, de toutes les denrées agricoles qui ont un grand écoulement sur le marché, le blé est celle dont le prix a monté avec le plus de lenteur. Nous avons tout autour de nous, dans des pays plus ou moins éloignés, mais avec des moyens de transport relativement peu coûteux, des systèmes de culture consacrés exclusivement à la production des céréales, et qui modèrent par leurs apports la hausse de nos prix. Les matières premières que l’agriculture fournit à l’industrie, les produits animaux qu’elle livre à la consommation, n’ont pas encore rencontré une concurrence aussi active ; la viande a notamment doublé de prix, et nos cultivateurs se dirigent de plus en plus de ce côté. Sans doute la nécessité où l’on est d’alterner les cultures et de varier les récoltes amène l’augmentation de la production du blé parallèlement aux autres progrès ; mais le blé n’est plus la récolte qui donne le plus d’argent au cultivateur, elle cède le pas sous ce rapport à bien d’autres plantes dont les produits assurent des profits plus élevés.

Loin d’être un mal, l’importation croissante du blé en France est tout à la fois le meilleur indice et l’effet le plus certain de notre prospérité. Les systèmes de culture qui exportent des céréales sont ceux qui s’adonnent à cette production d’une façon exclusive : ce sont les systèmes arriérés, tels qu’on les rencontre dans les pays pauvres et mal peuplés. La culture dispose là d’immenses espaces, mais elle est dépourvue de moyens d’action ; elle n’a ni main-d’œuvre, ni capitaux, ni outillage, et ses procédés d’exploitation sont tout ce qu’il y a de plus primitif. Elle n’a pas non plus de débouchés, c’est-à-dire de consommateurs à pourvoir : l’industrie et le commerce font défaut, comme le capital et la population. Ne pouvant se livrer à la production des denrées qui demandent des capitaux et de la main-d’œuvre en abondance, n’ayant pas à sa portée des consommateurs pour ses produits, elle est bien forcée de se