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chargé de vous le témoigner et il l’a témoigné lui-même par les faveurs qu’il a bien voulu accorder. Nous n’avons point encore de nouvelles de Constantinople. La question politique sera, je le crains, moins facile à vider que la question militaire ; mais ce sont deux questions distinctes. On n’est pas assez injuste pour les confondre. »

Ce fut un courrier parti de Navarin à franc étrier le lendemain même de la bataille qui apprit au sultan la destruction de sa flotte. On put craindre un instant que Mahmoud, dans sa première irritation, ne fût d’humeur à permettre un massacre général des chrétiens. Les deux séraskiers Khosrew et Hussein-Pacha prirent soin de recommander à leurs officiers de ne donner suite à aucun ordre émanant du grand-seigneur sans en avoir préalablement délibéré avec eux. La vague rumeur d’une grande catastrophe finit par arriver ainsi le 30 octobre 1827 jusqu’aux trois ambassadeurs. Ils firent interroger le reïs-effendi. « Le sultan avait-il donc donné à Ibrahim l’ordre de ne point observer la convention conclue le 26 septembre avec les amiraux ? Si une bataille avait eu lieu, la Porte considérerait-elle cet événement comme une déclaration de guerre ? » Le reïs-effendi répondit que « la Porte ne savait rien de ce qui s’était passé entre les flottes ; il n’avait donc pas pour le moment à s’expliquer à ce sujet. »

Sur tous les points où le bruit du désastre parvint directement avant d’arriver à Constantinople, l’attitude de la population ne justifia pas heureusement les inquiétudes qu’on avait conçues. On rencontra dans la multitude aussi bien que chez les autorités la modération la plus inespérée. Des nouvelles rassurantes parvinrent successivement à l’amiral d’Alexandrie, de Smyrne, de la côte de Syrie, des régences barbaresques. Le fatalisme musulman s’inclinait partout ; mais quelle serait la détermination du divan ? « Je ne doute pas, écrivait l’amiral Codrington, que le comte Dandolo[1] et l’internonce n’engagent aujourd’hui la Porte à accéder au traité, quelques efforts qu’ils aient pu faire récemment dans le sens contraire, car, si la guerre s’ensuivait, l’Autriche se verrait contrainte d’abandonner son alliée ou se faire elle-même la guerre, ce qui lui ferait perdre le riche commerce qu’elle a enlevé à la France. Je persiste donc à croire que le sultan cédera aux circonstances. » Le comte Nesselrode jugeait mieux les dispositions de l’inflexible Mahmoud, quand, à la même date, il prévoyait que la Porte aggraverait encore les inconvéniens de la situation où elle s’était placée. Les ambassadeurs allaient en effet, dans leurs tentatives de conciliation, rencontrer une de ces impossibilités morales qui en mainte autre affaire ont rendu stériles les efforts de la diplomatie. Le grand-

  1. Le comte Dandolo commandait dans le Levant l’escadre autrichienne.