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salem, le wilder, ont déjà pris rang parmi les raisins de table ; mais ce serait nous perdre dans les détails que d’insister sur ces produits d’un art raffiné et d’une culture encore restreinte. Revenons aux vrais vignobles pour marquer la phase nouvelle où l’immigration vers l’ouest a fait entrer la production de la vigne.

Précaire, intermittente, à peu près nulle tant qu’elle voulut se fonder sur les cépages d’Europe, on a vu la culture de la vigne s’établir modestement au début de notre siècle dans la vallée de l’Ohio. Des Français, des Suisses, en sont les initiateurs ; débuts bien chancelans encore, pleins de tâtonnemens, d’imperfections inévitables, les fautes dues à l’inexpérience s’aggravant par l’action latente du phylloxéra sur un cépage peu résistant, d’ailleurs la population clair-semée, la difficulté des communications, les habitudes du pays, étaient autant d’obstacles à la consommation du vin et par conséquent à l’extension de la vigne. Avec le catawba comme cépage fondamental, avec Longworth et ses émules comme chefs de file des vignerons, avec l’immigration croissante des Allemands, qui sont à la fois ouvriers pour la vigne et consommateurs de vin, avec l’imitation de notre champagne, une ère nouvelle s’ouvre pour la culture de la vigne dans un des états de l’ouest. Cincinnati devient à la fois centre de culture pour cet arbuste et de commerce pour les vins. On y multiplie avec une rapidité tout américaine les vignobles de catawba, et plus tard, après 1850, lorsque ce cépage, toujours délicat et sujet aux maladies, décline dans le district auquel il avait d’abord porté la richesse, les négocians de Cincinnati vont demander aux îles du lac Érié et au rivage méridional de cette vaste mer d’eau douce un supplément de jus de ce cépage, qu’ils sauront transformer dans leurs celliers en champagne américain. Adouci par l’influence d’une immense nappe liquide, le climat de cette région lacustre semble favoriser la nature du catawba mieux que les températures extrêmes de Cincinnati, placé pourtant à plus de 3 degrés de latitude plus au sud ; mais la raison principale de cette meilleure réussite est peut-être la jeunesse relative de ces vignobles de l’Érié, qui les a soustraits pendant quelques années à l’action lentement destructive du phylloxéra. La plus ancienne vigne de catawba, plantée dans l’île Kelley, le fut en 1848 par M. Charles Carpenter, agriculteur distingué de qui j’ai obtenu d’excellens renseignemens sur le sujet qui m’occupait pendant ma mission en Amérique. La vigne en question existe encore ; mais elle est sur le déclin comme toutes celles de la même espèce.

Cependant à mesure que le catawba, comme culture, déclinait sur les bords de l’Ohio, un nouveau centre de vignoble naissait et grandissait à vue d’œil dans l’état du Missouri. Simple poste de commerce de la compagnie française des fourrures de la Louisiane