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des villes. Stimulée par les besoins croissans de la consommation, la production agricole marchait encore plus vite que les frais. Ce qui le prouve avec évidence, c’est que toutes les rémunérations suivaient une marche parallèle à celle des salaires : la rente du propriétaire continuait à s’accroître ; le profit du cultivateur ne cessait de monter. Jamais les cultivateurs n’avaient fait autant d’épargnes et n’avaient eu autant d’aisance que depuis qu’ils se plaignaient d’avoir à payer des salaires si élevés. Rendons-leur cette justice, qu’ils semblent mieux comprendre aujourd’hui leurs intérêts. L’expérience leur a sans doute appris que la source véritable de leurs bénéfices, c’est le développement de la consommation, c’est-à-dire l’accroissement de la population vouée à d’autres occupations que celles de l’agriculture, et ils sont bien près d’accepter la hausse des salaires, qui en est la conséquence nécessaire, comme un mal sans gravité à côté d’un bien considérable.

Les lois économiques ne sont pas spéciales à un pays, ni à une époque ; elles sont de tous les peuples et de tous les temps. Elles s’imposent à la raison, parce que les faits n’en sont partout et toujours que la manifestation nécessaire. De même qu’il n’y a pas de production active sans débouchés, de même il ne saurait y avoir de débouchés étendus sans salaires élevés. Les peuples qui ont la moindre proportion de population agricole sont aussi ceux qui ont l’agriculture la plus riche, bien que le salaire y soit plus haut qu’ailleurs. Les pays où presque toute la population est vouée aux travaux du sol ont des salaires très faibles, mais une agriculture misérable. Pourquoi une agriculture productive quand il n’y a pas de bouches à nourrir ? Avec quoi payer des salaires quand les acheteurs de denrées agricoles font défaut ?

III.

Il semble généralement admis que le prix moyen du blé en France est à peu près stationnaire depuis des siècles, et qu’il oscille, si on le calcule par périodes de dix ans, autour de 20 francs l’hectolitre. Un homme qui a rendu de grands services à l’agriculture, M. de Gasparin, voulait même s’appuyer sur cette prétendue stabilité des prix pour faire du blé la mesure commune des valeurs. C’est là une opinion inexacte dont je dois démontrer le peu de fondement, parce que j’aurai à en déduire des conséquences importantes.

La France était encore, il y a un demi-siècle, une réunion de petits marchés, souvent indépendaus les uns des autres, qui obéissaient avec une grande mobilité aux fluctuations locales de l’offre et de la demande. Quand la récolte avait été mauvaise dans une région, le prix y montait rapidement et très haut sans que les ré-