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Pied-Noir, avait été non moins explicite que lui. « Pères, vous m’avez dit de bêcher la terre et d’élever du bétail; je ne veux pas qu’on me tienne de ces discours. J’ai été élevé avec le buffle et je l’aime. Depuis ma naissance, j’ai appris comme vos chefs à être fort, à lever ma tente quand il en est besoin et à courir à travers la prairie selon mon bon plaisir. » Nous savons que la Nuée-Rouge n’a pas autrement parlé à Washington et à New-York. Les seuls parmi les sauvages qui acceptent sans se plaindre d’aller dans les enclaves où on les confine et d’y cultiver la terre sont ceux de caractère faible et chez lesquels a diminué l’esprit guerrier. « Celui-ci est un bon sauvage, me disait le traitant canadien Pallardie en me montrant un pauvre Sioux, il va partir pour sa réserve et mener la charrue cet hiver. »

Une dernière école de philanthropes voudrait réunir tous les Indiens des États-Unis, quels qu’ils fussent, dans un seul et même territoire, qui entrerait comme une unité dans l’Union, et qui resterait soumis à une sorte de fédération intérieure comme territoire indien. Ce seraient de petits États-Unis rouges, si l’on peut ainsi parler. M. R. de Sémallé, qui le premier a conçu cette idée, nous dit que le général Parker, comme grand chef des Senecas, s’est mis enfin à la tête de ce projet, et qu’il a jeté les bases de la future constitution qui régira « l’état des hommes rouges. » Déjà des difficultés se rencontrent, ce projet subit un temps d’arrêt, et il en sera sans doute de la formation de cet état comme de l’installation des réserves. En toutes ces choses, on oublie de consulter le principal intéressé, l’Indien, qui ne veut ni de réserve, ni de territoire, ni de constitution, ni d’état, mais qui entend vivre et mourir nomade, comme il est né. Nous avons la plus grande estime pour la personne et les talens du général Parker; néanmoins nous croyons que lui aussi poursuit un rêve, généreux, il est vrai, qui est de tous le plus réalisable, mais qui malheureusement ne se réalisera jamais.

Les preuves si nombreuses que nous avons données de l’anéantissement fatal des Peaux-Rouges dans une limite de temps assez rapprochée sont, hélas! hors de toute contestation. Soit que l’Indien aille se confiner dans les réserves que les blancs lui indiquent, et où il trouve toujours plus de protection, plus d’abri que dans l’isolement du désert, — soit qu’il persiste à vivre à l’état nomade dans les prairies, dans les grandes plaines, dans les plateaux élevés de la Nevada, du Grand-Bassin[1] ou des Montagnes-Rocheuses, — soit enfin que, venant se perdre au milieu des blancs, il se ré-

  1. Plateau de l’Utah, dont les eaux n’ont aucune issue vers l’Océan, mais vers des lacs salés ou mers intérieures. La principale de ces mers est le grand Lac-Salé, près duquel est la capitale des mormons.