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l’Amadisiade ou Gaudéide, contenant les dits, faits et prouesses d’Amadis de Gaule et autres nobles chevaliers, divisé en vingt-quatre volumes, et chaque volume en vingt-quatre chants, et chaque chant en vingt-quatre chapitres, et chaque chapitre en vingt-quatre dizains, le tout formant une œuvre de 1,724,800 vers, sans compter les argumens. La critique se glisse ainsi en de nombreuses pages dans les romans du XVIIe siècle, mais elle y prend toujours, comme dans Molière, une forme légère et railleuse, et ce n’est que dans les querelles entre savans qu’elle tourne au pédantisme.

A côté du Roman bourgeois et dans la même veine spirituelle et gaie, il faut citer le Recueil des diverses pièces comiques de Préfontaine. Les filous, les filles perdues, les procureurs chargés de leurs sacs à procès, les apothicaires armés du pistolet d’Esculape, défilent dans cette joyeuse revue parisienne comme dans une ronde de carnaval; mais c’est surtout contre les Vadius et les Trissotin « qui barbotent dans les roseaux du Permesse, » et contre leurs confrères en platitudes, auteurs de « vers impotens, » que s’exerce la verve de Préfontaine; il les peint de main de maître dans le Poète extravagant, dont il fait le type accompli du rimeur orgueilleux et famélique qui va recruter ses admirateurs parmi les garçons de cabaret et les débardeurs du quai Saint-Jean. Ce poète, vêtu d’un pourpoint de satin blanc moucheté, d’un haut-de-chausse de drap de Berry noir, d’une roupille de serge couleur de musc, porte un chapeau de castor gris, des bas de soie jaunes, et des souliers qui respirent par la semelle. Son cerveau, détraqué par les muses, est à l’avenant de son costume; il enfante trente mille vers en quatre jours, et quand l’argent lui manque pour acheter des plumes, ce qui arrive souvent, il taille un de ses ongles, qu’il conserve pour cet usage aussi longs que le bec d’un héron, et, le trempant dans l’encre, il en griffonne ses inspirations. « Ce parnassien, » ne se relit jamais que pour s’admirer, et, quand on lui parle de corriger et d’améliorer son œuvre, il répond : «Pour parler sans vanité, j’appelle gâter ce que d’autres appelleraient une belle réformation, et suis persuadé que, chaque personne aimant sa géniture, un homme n’aurait pas agréable, s’il avait un enfant bossu, que pour le rendre droit on lui rasât sa bosse. » Que de parnassiens aujourd’hui pensent encore comme le poète au pourpoint de satin blanc moucheté !

Charles Coypeau, qui s’était donné le surnom de d’Assoucy, et s’intitulait empereur du burlesque premier du nom, se rattache à l’école de Scarron et de Préfontaine; s’il les égale quelquefois, il reste le plus souvent au-dessous d’eux, parce que chez lui la gaîté est toujours cherchée, et que sous le conteur on retrouve toujours