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tous comme les Russes sous les barbares de l’Asie, et, comme leur vie nationale, leur développement religieux fut interrompu pour des siècles.

Pour le politique, ce n’est point en elle-même qu’est la cause première de l’infériorité historique de l’église gréco-russe vis-à-vis de l’église latine. Ce n’en est pas moins aux usages et à l’esprit de l’orthodoxie orientale qu’il faut demander les raisons secondaires de la diversité de son rôle dans la civilisation. Peu de questions sont aussi importantes, et peu ont été aussi rarement abordées. L’examen des différences des deux églises peut seul permettre de juger de la différence de leur action sur les sociétés. Séparées à l’origine par de simples questions de prééminence et de discipline, elles le sont aujourd’hui par le dogme : de schismatiques, elles sont l’une pour l’autre devenues hérétiques. Rome proclame la double procession du Saint-Esprit et la purification des âmes dans le feu du purgatoire. L’Orient, sans avoir solennellement condamné ces deux croyances, se refuse à les admettre. À ces différences dogmatiques, le Vatican en a dans ces dernières années ajouté deux autres, également repoussées par les théologiens russes et grecs, l’immaculée conception et l’infaillibilité du pape. De ces divergences dans la foi, une seule, la dernière, a une réelle importance religieuse et politique. Le fait même de la proclamation de certains dogmes par les latins alors que les grecs repoussent toute définition dogmatique nouvelle a une sérieuse gravité. Cette opposition révèle une conception toute différente du rôle de l’église et de la marche du christianisme. Pour les catholiques, la période des définitions doctrinales reste toujours ouverte; pour les orthodoxes, elle a été close par les grands conciles antérieurs à la rupture de Rome et de Constantinople. Certains théologiens romains ont réduit la proclamation successive des dogmes en théorie; ils l’ont représentée comme une sorte de manifestation graduelle de la vérité se dévoilant de plus en plus clairement aux fidèles. Cette application des idées modernes de développement et de progrès à la théologie est repoussée par l’église gréco-russe. Elle se refuse à rien laisser ajouter à son symbole comme à y rien retrancher. A cet égard, l’orthodoxie est presque aussi éloignée des catholiques que des protestans. L’Orient, qui jadis a élucidé et formulé pour l’Occident les dogmes fondamentaux du christianisme, condamne toute adjonction comme toute dérogation à l’œuvre des vieux conciles. A ses yeux, l’édifice est achevé depuis des siècles, et rien n’en doit altérer l’ordonnance.

Pour l’intelligence individuelle comme pour les sociétés, cette divergence a des conséquences capitales. Dans l’orthodoxie gréco-russe, ni la conscience des fidèles ni la législation de l’état n’ont à