Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des abus les mandemens épiscopaux et l’intervention des curés dans les affaires électorales. On verra se reproduire les incidens qui ont si longuement prolongé la vérification des pouvoirs dans le premier parlement. Nous retrouverons les curés qui mènent au scrutin leur troupeau, ceux qui font croire aux paysans que les bulletins cléricaux ont été bénis par le saint-père dans sa prison de Rome, tandis que les autres ont été imprimés par le diable. Le clergé sera convaincu de spéculer sur la superstition des masses, et il faut convenir que maints journaux catholiques, en Bavière surtout, donnent de la vraisemblance à ces accusations. Un grand journal de Munich ne s’est-il pas avisé de faire du choléra une sorte d’agent électoral en déclarant que le fléau continuera ses ravages et ruinera la ville tant qu’elle sera la proie du libéralisme?

A mesure qu’on approchait du dénoûment, la lutte devenait plus vive. La veille, on vit paraître les manœuvres de la dernière heure, aussitôt combattues par des contre-manœuvres : la perfidie n’a manqué ni aux unes ni aux autres. Enfin arriva le 10 janvier, et le verdict attendu avec impatience fut connu. On ne se porta point partout avec une égale ardeur au scrutin. Là où le résultat était assuré en faveur d’un parti, le chiffre des abstentions a été considérable. Berlin par exemple est comme inféodé au parti progressiste : les deux tiers des électeurs ne se sont pas dérangés pour voter. Le Berlinois d’ailleurs ne passe pas pour un modèle de vertus civiques : sceptique et médisant, grand discoureur de brasserie, il a sur les questions politiques et sociales son opinion toute faite, mais il n’est pas homme à quitter, pour aller remplir son devoir de citoyen, le cabaret où il disserte autour de ces énormes bocaux remplis de bière blanche que l’on fait passer de main en main et de lèvres en lèvres. Même le grand nom de M. de Moltke n’a point suffi à le tirer de son apathie. Le feld-maréchal n’avait accepté qu’avec répugnance le mandat que lui avaient offert les conservateurs de la capitale. « Bien qu’il ne me plaise pas, avait-il répondu, de courir au-devant d’un échec certain, prenez mon nom, si vous jugez qu’il soit utile à la bonne cause! » Pour le récompenser de ce dévoûment, les Berlinois lui ont fait au total, dans les six circonscriptions où il s’est présenté, l’aumône de 1,500 voix! On ne se serait point douté que le 10 janvier fût un jour d’élection, aucune affiche n’indiquait les lieux de vote, que plus d’un électeur a inutilement cherchés; on a eu de la peine à composer les bureaux des sections, personne ne se souciant de sacrifier sa journée au public. C’est un fait singulier que cette indifférence de la capitale.de l’empire, de « la ville de l’intelligence, » en un jour où dans le dernier des villages de Bavière on voyait affluer en masse vers l’urne du scrutin les électeurs ennemis de l’empire !