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mécaniciens ont voté en masse pour ce révolutionnaire. Pendant la lutte entre ces deux personnages qui représentent deux tendances si opposées, la presse ouvrière a poursuivi de ses injures M. Schulze, qu’elle appelle « le ridicule apôtre de l’épargne et de l’aide-toi toi-même. » L’homme qui a consacré toute une vie de dévoûment à l’amélioration du sort des classes laborieuses, celui qu’on appelait jadis le « roi du royaume social, » n’est plus qu’un vieux charlatan !

Les journaux socialistes avaient salué avec enthousiasme le jour du vote, « ce jour de liberté qui est venu enfin luire sur le travailleur, dont toute la vie se passe le reste de l’année dans la fabrique enfumée ou dans la fosse profonde des mines ! » Au scrutin, personne n’a manqué à l’appel. Un ouvrier poète a composé une chanson pour la circonstance; on y trouve la devise : vivre en travaillant ou mourir en combattant, et ce couplet : «nous ne nommerons pas un noir[1], mais nous ne nommerons pas non plus un noir et blanc[2]….. car le diable est noir, et la mort est blanche : noir et blanc, quelle effroyable couleur ! Votons rouge ; rouge est la couleur de l’amour qui jaillit du cœur! Votons rouge; le rouge nous apporte la liberté! » Ces paroles se chantaient sur l’air de la Garde au Rhin, l’air patriotique cher aux gallophobes d’Allemagne. Ce n’est donc pas seulement en France que les chants patriotiques deviennent des appels à la guerre civile. Nous avons la Marseillaise de l’ouvrier ; ils ont la Garde au Rhin du travailleur. Les socialistes n’ont pourtant pas suivi partout le conseil du chansonnier. Dans les scrutins de ballottage, où leurs suffrages devaient décider de l’élection, ils ont choisi pour les appuyer les candidats qui promettaient d’être le plus résolument hostiles à l’empire, dût leur nuance s’éloigner beaucoup du rouge. A Francfort, M. Sonnemann, du parti démocratique, avait obtenu au premier tour de scrutin 5,016 suffrages, M. Lasker 4,353, M. Schmidt, socialiste, 2,366 voix. Le rouge de M. Sonnemann, qui est un riche banquier, est beaucoup moins foncé que celui des socialistes; les ouvriers avaient d’ailleurs des griefs personnels contre lui : ils l’avaient mal accueilli et même insulté dans les réunions électorales; mais entre lui et le noir et blanc M. Lasker ils n’ont pas hésité. Hasenclever, président de la ligue, envoya de Berlin « aux confédérés de Francfort » un rescrit où, tout en déclarant que le parti a une égale haine contre Sonnemann et contre Lasker, il « requit » les socialistes de voter « pour le plus radical des deux candidats. » Les confédérés obéirent. Au second tour de scrutin, M. Sonnemann a été nommé par 7,194 voix; c’est 2,178 voix de plus qu’au 10 janvier, c’est-à-dire à peu de chose près le nombre des suffrages qui s’étaient portés sur le candidat

  1. C’est-à-dire un clérical.
  2. Ce sont les couleurs de la Prusse.