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d’autant plus que l’impôt foncier couvrait presque seul les dépenses publiques et qu’il leur semblait important de lui donner un caractère de fixité. Ce fut l’œuvre de lord Cornwallis en 1792. Ses conseillers pensaient qu’il eût été plus prudent d’attendre au moins que le Bengale eût réparé les pertes éprouvées pendant la famine de 1770, car de vastes terrains autrefois cultivés s’étaient transformés en jongles et n’avaient plus d’autres habitans que des bêtes féroces. Ce gouverneur-général, se méprenant sur la nature des titres possédés par les zémindars, en fit des propriétaires fonciers dans le vrai sens du mot; il prescrivit d’établir un relevé du revenu que payaient à ce moment les ryots; puis il décida que les zémindars en garderaient la onzième partie pour eux et verseraient le reste dans les caisses du gouvernement. On dressa donc une sorte de cadastre. Pour éviter tout débat ultérieur, les sommes dues par chacun au trésor public furent inscrites en chiffres. Qu’en résulta-t-il ? Que l’impôt resta le même, tandis que les terres incultes se défrichaient, et que sur les terres anciennement cultivées le fermage s’élevait d’année en année. La présidence du Bengale perçoit aujourd’hui 75 millions de francs par l’impôt foncier, comme en 1792, quoique la population se soit accrue et que le prix de l’argent se soit abaissé. Il advint en outre que les malheureux ryots furent livrés sans défense à des propriétaires rapaces qui les pressuraient pour augmenter leurs revenus.

Ce premier essai n’ayant pas réussi, la question fut remise à l’étude; à vrai dire, elle y est encore. Dans les provinces du nord- ouest, dans le Pendjab, dans le royaume d’Oude, le gouvernement anglais ne concède plus les terres à perpétuité : il préfère garder le droit primordial de propriété qu’il tient des souverains indigènes; il passe des baux de trente ans, sujets à révision. Au bout de cette période, la terre est évaluée de nouveau, la rente en est élevée ou abaissée suivant le cas. Au moins, par ce moyen, les améliorations foncières que l’état exécute lui profitent. S’il multiplie les canaux d’irrigation, s’il construit des routes, l’impôt direct s’en ressent. Ce système d’amodiation périodique avait pour conséquence nécessaire l’établissement d’un cadastre; les champs ont été arpentés, délimités, estimés en contenance et en qualité. C’est un long travail, encore inachevé, qui marche de concert avec le levé topographique du pays. Les résultats politiques en sont d’ailleurs satisfaisans, car rien ne contribue davantage à maintenir en paix la population indigène. L’Hindou n’a aucune idée de la vie politique telle qu’on la comprend en Europe. Les questions de liberté, de suffrage universel, d’unité nationale, n’existent pas pour lui. Il est conservateur par essence ; en dehors des rites religieux et de la jouissance du sol, il est indifférent aux actes de ceux qui le gou-