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puis que le gouvernement anglais a pris possession du territoire; il y a partout des tribunaux et des écoles, un chemin de fer favorise la culture du coton. On parle d’exploiter des mines de houille; en fin de compte, tous frais d’administration payés et déduction faite encore pour l’entretien du contingent dû par le nizam, il reste sur le produit des impôts une plus-value de 200,000 livres sterling par an que les commissaires remettent fidèlement au monarque d’Hyderabad.

Voilà, prise sur le fait, la supériorité du gouvernement anglais sur le gouvernement indigène; voilà comment le pays s’est soumis, le plus souvent sans secousse, au régime européen, du cap Comorin à l’Indus. La cause de la civilisation y gagne, c’est incontestable; la population en profite, à part le monde interlope des vizirs, des favoris de cour et des bayadères. Avec ses anciens maîtres, hindous, mahrattes ou musulmans, l’Inde, partagée en une multitude de petits états, ravagée par des guerres incessantes, opprimée par des tyrans cruels ou insoucians, l’Inde ne faisait aucun progrès. Abandonnée aujourd’hui par la race active et vaillante qui l’a soustraite au despotisme de l’ancien temps, elle retomberait, assure-t-on, dans la barbarie. On raconte que les insurgés de 1857, un moment victorieux dans le nord-ouest, s’empressèrent d’établir à leur façon une copie maladroite des institutions britanniques, et que le peuple, après en avoir goûté, se remit avec bonheur sous le joug des Européens. Il est possible que ce soit vrai ; toutefois nous pensons que ce gouvernement de 190 millions d’hommes par quelques milliers d’étrangers est fragile et funeste. Voyez quelle part insignifiante les natifs les plus instruits, les plus capables, les plus honnêtes, prennent aux affaires du pays. Il n’existe pas de corps délibérans au sein desquels ils puissent acquérir l’expérience des affaires. Le conseil suprême de Calcutta, et les conseils des présidences de Madras et de Bombay s’adjoignent bien, lorsqu’ils agissent en qualité de législateurs, trois ou quatre notables indigènes ; mais le vice-roi désigne pour cette fonction honorifique des hommes de famille princière qui ne peuvent être regardés comme les représentans de leurs concitoyens et qui, souvent incapables de comprendre la langue de leurs conquérans, assistent en témoins muets aux délibérations. On dit encore que les jeunes Hindous, après avoir fréquenté les écoles que le gouvernement multiplie avec le zèle le plus louable, subissent avec succès les examens et sont admis dans les cadres de l’armée ou dans les services publics au même titre que les Européens ; mais, outre que ces jeunes prodiges sont des exceptions fort rares, il est douteux que le gouvernement, jaloux de son autorité, les juge jamais capables d’arriver à des postes élevés. On ne saurait découvrir dans l’Inde ce mouvement généreux de tout un peuple vers