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La notion du libre arbitre et de la responsabilité morale semble s’obscurcir chaque jour;... cette larve du fatalisme, par où que vous mettiez la tête à la fenêtre, vous la rencontrez. L’artiste même, le poète, qui n’est tenu à nul système, mais qui réfléchit l’idée de son siècle, il a de sa plume de bronze marqué la vieille cathédrale de ce mot sinistre : Ἀνάγϰη. Ainsi vacille la pauvre petite lumière de la liberté morale. Et cependant la tempête des opinions, le vent de la passion, soufflent des quatre coins du monde. Elle brûle, elle, veuve et solitaire; chaque jour, chaque heure, elle scintille plus faiblement. Si faiblement scintille-t-elle que dans certains momens je crois, comme celui qui se perdit aux catacombes, sentir déjà les ténèbres et la froide nuit... Peut-elle manquer? Jamais sans doute. Nous avons besoin de le croire et de nous le dire, sans quoi nous tomberions de découragement. Elle éteinte, grand Dieu! préservez-nous de vivre ici-bas ! » Assurément ce n’est pas M. Victor Hugo qui choisirait ces paroles pour en faire l’épigraphe de son roman ; nous sommes tentés, quant à nous, de les y inscrire d’office, comme un éloge pour les intentions de tel et tel chapitre, comme un avertissement et un blâme pour tout le reste.

Cette première indication suffit en ce moment ; prenons garde de conclure avant d’avoir fourni nos preuves. Il faut reprendre tout cela pièces en main, il faut pénétrer par l’analyse au fond de la pensée de l’auteur. Le plus sûr moyen de faire une critique juste et sincère, quand il s’agit d’une œuvre comme celle-là, c’est d’exprimer en toute franchise ce qu’on a ressenti en la lisant. Quel est le sujet? comment l’auteur l’a-t-il traité? Quelles idées y a-t-il introduites ? quels sont les procédés de l’artiste et les inspirations du penseur? Je veux dire simplement sur tous ces points l’impression d’un lecteur sans parti-pris.

Rien de plus simple que le sujet. M. Victor Hugo, poète harmonieux et puissant, imagination lyrique d’une étonnante richesse, n’a jamais brillé par l’invention dans ses romans ou dans ses drames. Il lui manque le naturel, la souplesse, la vérité familière, ce qui donne la vie aux fictions de l’art. Ses personnages ne vivent pas d’une vie propre. A les voir, on a l’idée d’un maître hardi qui, le ciseau à la main,

Fait au marbre étonné de superbes entailles;


on ne voit que ce maître et pas autre chose. C’est toujours lui qui est à l’œuvre, toujours lui qui manie l’ébauchoir et le marteau. Cette figure qui se dégage du bloc, n’en doutez pas, c’est la sienne. Le charme des grands inventeurs dans le drame ou dans le roman,