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de M. Mariette révèlent au contraire une grande variété et une frappante dissemblance dans les âges successifs qu’elle a traversés. Avec quel étonnement ne voit-on pas dans les peintures des chambres funéraires de Saqqarah des scènes riantes de la vie terrestre d’où la pensée de la mort semble avoir été soigneusement écartée ! Elles sont égayées par les épisodes les plus agréables : on y voit le personnage enseveli dans la tombe se livrer aux plaisirs de la chasse et de la pêche; il assiste à des joutes sur l’eau, pendant que les femmes l’amusent par leurs chants et leurs danses et que les musiciens le récréent par les accords des instrumens. D’autres peintures le représentent faisant l’étalage de ses trésors et présidant à des travaux variés : on met des barques sur le chantier ; des maçons lui bâtissent des maisons pendant que des ébénistes fabriquent les meubles destinés à les orner. Ces tableaux correspondent évidemment au passage de l’homme sur la terre, d’autres semblent relatifs à la période de transition entre la vie et la mort ; mais cette transition, si redoutable dans l’esprit des peuples d’un autre âge, est si faiblement indiquée ici qu’il est même difficile de l’apercevoir. De grandes barques naviguent à la voile ou à la rame, ayant à bord un nombreux équipage : on voit sur quelques-unes un édicule dans lequel le défunt « traverse les eaux, se dirigeant, dit l’inscription, vers l’Amenti (le paradis); » mais ce même défunt est représenté sous la figure souriante d’un personnage debout, le bâton de commandement à la main et dirigeant lui-même sa propre dépouille au tombeau. Plus loin le mort grandit, il atteint des proportions colossales et se trouve assis devant une table d’offrandes que ses serviteurs chargent de présens; ils en portent sur leur tête, dans leurs mains, tenant en laisse des animaux domestiques. Le tombeau est appelé dans les textes hiéroglyphiques « la demeure éternelle, » comme dans Diodore. Le défunt y passe gaîment le temps de l’autre vie à voir défiler ses propriétés, personnifiées par des figures portant dans leurs mains les principaux produits de la terre. Dans la chambre extérieure, il est représenté inspectant ses domaines. On laboure, on sème, on entasse le blé; des troupeaux passent un gué, des veaux jouent dans les herbes, on trait les vaches, on mène boire des ânes. On pourrait ajouter à ces gracieuses images, qui rappellent plutôt la vie pastorale et les scènes des Géorgiques que le tribunal d’Osiris et les juges de l’enfer, bien d’autres représentations du même genre où le mort assiste toujours à toutes ces opérations, tranquille, radieux, entouré des siens et jouissant de tous les biens de la vie. Il est vrai qu’il n’est encore que sur le seuil de l’éternité. Au fond du caveau où se cache son cercueil, « le rituel l’a saisi, » il est la proie de la mort, et il compte enfin avec les juges de sa destinée future; mais aucune sombre image n’est venue, dans le