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très faible; mais le recensement de 1872 nous réservait une surprise singulièrement douloureuse : notre population a diminué de 16 pour 10,000. Quant à la cause de cette natalité inférieure, M. Lagneau n’hésite pas à l’attribuer au sentiment de prévoyance égoïste des parens. Dieu bénit les familles nombreuses, dit un vieux proverbe, et le vieux proverbe a raison. C’est l’accroissement de la population, c’est la confiance dans la destinée, qui ont grandi la fortune de l’Angleterre et lui ont permis de coloniser le monde; ce sont les mêmes causes qui ont établi la puissance de l’Allemagne et qui, sans l’appauvrir, lui laissent peupler l’Amérique, où plus tard elle trouvera peut-être des alliés redoutables pour l’Europe.

Ce vice de la stérilité volontaire paraît essentiellement catholique et latin; les protestans y échappent plus que nous, les Juifs le condamnaient dès la Genèse. Il a toujours régné chez nous, il a été dans bien des cas l’auxiliaire des grandes fortunes, et dans les lettres de Mme de Sévigné on peut voir comment la mère de Mme de Grignan et Bussy-Rabutin l’envisagent; mais les résultats qu’il a produits sont de nature à nous éclairer. Nous lui devons notre incapacité coloniale, et le peu d’utilité, sinon la perte, de nos possessions d’outre-mer; nous semblons prendre à tâche de nous amoindrir chaque jour en présence de la fécondité imposante et normale de la race saxonne. L’existence matérielle est très onéreuse en France, on peut en convenir; mais notre vanité l’est encore plus, et le besoin de vivre ou, pour mieux dire, de paraître vivre dans un luxe supérieur à la situation réelle a amené une diminution telle dans les naissances qu’il y a péril en la demeure. Les théories néfastes de Malthus sont devenues une sorte de doctrine secrète qui a pour adhérens tous ceux qui redoutent l’avenir et veulent laisser à leur enfant une propriété non morcelée. D’autre part, la population est généralement en rapport avec l’étendue et surtout avec la fécondité du sol qu’elle habite : défrichez, et vous peuplerez; il n’y a que trop de landes, que trop de marécages en France ; les groupes qui en sont voisins augmenteront au lieu de diminuer le jour où l’on y mettra sérieusement la main. Vauban a dit : «C’est parle nombre de leurs sujets que la grandeur des rois se mesure; » soit, c’est par le nombre des habitans que les nations affirment leur richesse et leur puissance. En matière de population, on ne peut rester stationnaire, il faut s’accroître ou périr. Espérons que la France comprendra le péril, et qu’elle aura l’énergie d’y échappa!

Les calculs établis par le docteur Ély[1], d’après les tables de recensement de la période 1863-1869, prouvent que la natalité

  1. Paris, étude démographique et médicale, 1872.