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démicien, un ami passionné des lettres et des arts, des œuvres et des joies de la paix; c’était M. Vitet, et M. Vitet à soixante-huit ans.

Dans sa jeunesse, au début de sa vie morale, il avait subi les mêmes épreuves et connu les mêmes tristesses qui en devaient marquer la fin. Né à Paris, le 18 octobre 1802, au sein d’une famille originaire de Lyon, où elle avait occupé avec honneur les principales charges municipales, il avait vu en 1814 et 1815 la France vaincue, et Paris non pas assiégé, mais envahi et occupé par les étrangers. Il avait assisté au douloureux spectacle de l’Europe victorieuse de nous, chez nous, et nous imposant les conditions de la paix; mais c’était l’Europe, la coalition européenne qui nous avait vaincus, et non pas une seule des nations européennes. Nous avions succombé sous tous nos rivaux réunis après avoir été arrogamment provoqués, et non pas dans un duel sans cause claire et digne. Nous avions de plus trouvé, non pas des amis, mais des influences éclairées et modérées qui avaient compris l’intérêt européen et ce qui nous était dû malgré nos revers. L’Angleterre et la Russie, l’empereur Alexandre et le duc de Wellington, avaient fait repousser les prétentions envahissantes de la Prusse déjà géographiquement rédigées. Nous n’avions perdu ni l’Alsace, ni aucune portion de la Lorraine. La France restait intacte. Elle entrait d’ailleurs, après de longues années de guerre et de despotisme révolutionnaire ou militaire, en possession des deux grands biens de la civilisation, la paix et des institutions libres. Le gouvernement auquel elle avait aspiré dans les premiers jours de 1789, la monarchie traditionnelle et constitutionnelle, devenait le sien. Il y avait là pour notre patrie des garanties de stabilité, de liberté et de progrès bien propres à nous donner dans le présent les consolations, et pour l’avenir les espérances qui, au milieu des plus tristes désastres, relèvent et rassérènent l’âme des peuples.

C’est un rare spectacle que celui d’une grande nation passant tout à coup des violentes passions et des rudes épreuves de la guerre et du pouvoir absolu aux œuvres laborieuses et lentes, quoique très animées, de la paix et de la liberté. Ce fut le spectacle qu’offrit la France après ses revers de 1814 et 1815. En même temps, un puissant mouvement intellectuel y éclatait : dans les sciences politiques et économiques, en philosophie, dans l’histoire ancienne et moderne, dans la critique littéraire, dans la poésie, dans les arts, des idées nouvelles et fécondes fermentaient; des hommes nouveaux et éminens les développaient et les appliquaient dans des œuvres qui devenaient populaires. MM. Royer-Collard, Maine de Biran, Cousin, Jouffroy, relevaient puissamment le spiritualisme en face du sensualisme et du scepticisme du XVIIIe siècle. La-