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trer le projet de M. de Lesseps dont on a parlé depuis quelques mois. Les chemins de fer de l’Inde, s’est-il dit, feront bientôt communiquer Peshawer avec Calcutta, Bombay, Madras. Les voies ferrées de la Russie s’avanceront jusqu’à Orenbourg, sur le Volga; réunissons donc Orenbourg à Peshawer par un railway qui desservira Samarcande, Balk et Caboul. Nous n’avons à nous occuper en ce moment que du passage de cette ligne à travers l’Afghanistan. L’Hindou-Kouch ne sera pas sans doute un obstacle insurmontable, car il existe le long de cette chaîne des cols aisément accessibles; mais les ingénieurs, que les neiges perpétuelles et les accidens de terrain n’arrêtent point, n’ont aucun moyen technique de lutter contre une insurrection. La barbarie des hommes est plus puissante contre eux que les élémens de la nature. On serait assurément tenté de traiter de chimère ce projet de grand central asiatique, n’était la persévérance et la fécondité de ressources dont a fait preuve jusqu’ici le créateur du canal de Saez.


II.

L’empire afghan s’étend de nos jours jusqu’à l’Amou-Daria, l’Oxus des anciens; mais avant d’arriver sur les bords de ce beau fleuve, nous éprouvons encore une fois un changement de climat. Tandis que les derniers nuages de la mousson, chargés des vapeurs de l’Océan indien, remontent les pentes des montagnes jusqu’à l’Hindou-Kouch, après avoir abondamment arrosé les plateaux du Caboulistan et de Kandahar, au-delà de cette chaîne l’air est d’une sécheresse extrême. Il ne tombe presque pas de pluie; les rivières qu’alimentent les neiges perpétuelles du massif central se perdent souvent dans les sables, ou bien, dès que le sol se montre fertile, sont ingénieusement divisées par l’industrie des habitans en des milliers de canaux d’irrigation. Les eaux que les steppes n’ont pas absorbées se réunissent dans la mer d’Aral. Est-ce bien une mer que cette vaste lagune sans profondeur? Il semble établi qu’elle s’est tarie plusieurs fois depuis deux mille ans. Les voyageurs européens du XIIIe siècle n’en parlent pas, bien qu’ils aient traversé la dépression de terrain dont elle occupe le fond. Les explorateurs modernes ont retrouvé dans le désert turcoman les traces d’un ancien lit de l’Oxus qui, s’inclinant vers le sud au-dessous de Khiva, venait déboucher dans la Caspienne près de Krasnovodsk. Certains géographes prétendent avec assez de vraisemblance que l’Oxus a quitté et repris tour à tour ce lit aujourd’hui desséché. Ainsi s’expliquerait-on que l’Aral se soit présenté, suivant les époques, tantôt comme une mer, tantôt comme un marécage rempli de roseaux, tantôt comme une plaine aride.