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LA QUESTION CUBAINE.

ditions, quoique soutenues par des fonds cubains, comptaient surtout sur la connivence des États-Unis, dont les ports leur étaient ouverts et les sympathies assurées. Dans l’île en effet, parmi les créoles, deux partis étaient en présence : les annexionistes et les réformistes. Les premiers, séduits par la grandeur et la prospérité de la puissante république, ne rêvaient pour leur patrie d’autre sort qu’une fusion complète et immédiate dans les états de l’Union ; les autres, les réformistes, voulaient rester dans la légalité, et aspiraient simplement à l’autonomie politique sous les couleurs espagnoles. Était-ce une dernière preuve d’attachement à la mère-patrie ? était-ce plutôt sentiment de leur impuissance ? Prévoyaient-ils tous les maux qu’un soulèvement amènerait à sa suite, combien la lutte serait longue et l’issue incertaine ? En résumé, c’est ce parti qui entravait par son abstention toutes les tentatives de révolte, et qui, contraire aux moyens violens, avec une patience digne d’un meilleur succès, s’obstinait à attendre du gouvernement de Madrid des réformes quelquefois promises, toujours différées.

D’ailleurs dans l’île même existait un troisième parti, comprenant tous les employés, tous les fonctionnaires, tous les parasites nourris du budget colonial, tous ceux qui profitaient des privilèges et des abus, tous ceux qui se livraient à la traite des noirs, le plus riche trafic qu’on connaisse ; c’était proprement le parti espagnol ou esclavagiste. Il faut dire qu’en dépit de tous les traités et des efforts de l’Angleterre, grâce à la complicité plus ou moins gratuite des autorités, qui volontairement fermaient les yeux, la traite des noirs d’Afrique a duré à Cuba jusqu’en ces dernières années. — Ceux-là, comme de juste, ne se plaignaient pas, et même ils prétendaient que personne ne se plaignît autour d’eux ; à chaque pétition des réformistes, ils répondaient par des assurances de satisfaction complète : « Cuba vivait heureuse et riche ; toute réforme était inutile ; les mécontens n’étaient que des factieux, une poignée de misérables indignes de l’attention du gouvernement. » Ils allèrent même, pour aider au mensonge, jusqu’à porter sur leurs listes d’adhésions de fausses signatures. Vingt mille créoles s’adressèrent à la reine : « Non, madame, disaient-ils en terminant, il n’est pas vrai que la majorité des Cubains ait l’âme assez basse pour refuser et redouter des réformes politiques ; la vérité est qu’ils les désirent ardemment, ces réformes, et qu’ils les réclament par tous les moyens. »

Vint un jour où le gouvernement ne put résister davantage, et le 25 novembre 1865 parut une ordonnance royale créant un comité d’enquête chargé d’étudier la question des Antilles. Ce comité ou junte devait se composer d’un nombre non limité de fonctionnaires, de vingt-deux commissaires élus par les créoles et de vingt-deux autres au choix du gouvernement. Tous les détails sont connus au-