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LA QUESTION CUBAINE.

de l’indépendance soutenue en 1816 par les colonies espagnoles du continent, il faut connaître les horreurs qui s’y commirent, les mutilations, les tortures que l’on faisait subir aux prisonniers, pour savoir jusqu’où peut aller dans la cruauté, lorsque sa haine est excitée, cette race créole, ardente et vindicative. À Cuba, des officiers espagnols, tombés aux mains des insurgés, ont été liés la tête en bas à un tronc d’arbre, au-dessus d’un amas de bois vert, puis brûlés ainsi à petit feu ; mais ce sont là des faits tout particuliers et qui n’engagent point la responsabilité des chefs. Ceux-ci ont tout fait au contraire pour que la guerre se poursuivit avec moins de férocité. À défaut d’humanité même, l’intérêt bien entendu le leur conseillait. Des officiers, des soldats ennemis, ayant contre toute attente obtenu grâce de la vie, se sont engagés par reconnaissance dans les rangs des rebelles ou leur ont servi d’instructeurs. Quoi qu’il en soit, comme le général Quesada proposait l’échange de quelques officiers espagnols prisonniers contre un nombre égal de soldats de l’armée cubaine, le brigadier Lesca, à qui il s’adressait, répondit : « L’Espagne est trop fière pour accepter de pareilles propositions. Elle a 17 millions de fils fidèles qui la défendent, et peu lui importe la vie de dix ou douze d’entre eux, s’ils meurent pour leur patrie. Je n’ai aucun prisonnier, parce que j’ai fusillé tous ceux qui me sont tombés entre les mains, et je continuerai de faire de même à l’avenir. » Aujourd’hui on ne fusille même plus ; les victimes sont égorgées avec le machete, ce long coutelas dont certains soldats ou volontaires de l’armée espagnole ont appris à se servir tout aussi bien que les indigènes. Leur habileté est telle qu’ils tranchent une tête d’un seul coup. Ces macheteros, comme on les appelle, marchent d’ordinaire à l’arrière-garde des détachemens, et tout individu suspect qu’on arrête leur est immédiatement expédié. Les corps des victimes restent abandonnés sans sépulture à l’endroit même où ils sont tombés.

On ne saurait nier après tout que ces mesures de rigueur des Espagnols n’aient jusqu’à un certain point réussi. L’insurrection, qui dans les premiers mois avait gagné les deux tiers de l’île, est maintenant confinée dans la partie orientale. Les ports de la côte méridionale, comme Manzanilla, dont les créoles s’étaient emparés d’abord, ont dû presque aussitôt être abandonnés : maîtresse de la mer, l’escadre espagnole les bombardait tout à l’aise ; d’ailleurs le département du centre, ce qu’on appelle la région des Cinq-Villes, n’est qu’un plateau uni, semé de rares plantations et très difficile à défendre contre une armée régulière. En revanche, la région orientale, qu’occupent les Cubains, est tout entière couverte de montagnes et de forêts où se réfugiaient autrefois les nègres marrons et où, de l’avis des gens compétens, la guerre peut se prolonger indéfiniment.