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LA QUESTION CUBAINE.

La situation des insurgés est en effet bien meilleure qu’elle ne peut sembler au premier abord. Ils n’occupent, il est vrai, qu’un tiers du pays, mais ils y sont certainement plus forts que ne l’est le gouvernement espagnol dans le reste de la colonie. Si celui-ci est maître des points stratégiques, ils ont pour eux l’avantage du climat, des retraites impénétrables, la sympathie des populations, et pour se recruter une pépinière de 150 000 insurgés latens qui depuis cinq ans maintient leur effectif à peu près sur le même pied et comble les vides faits dans leurs rangs. L’armée cubaine un moment compta une quarantaine de mille hommes plus ou moins armés ; aujourd’hui, depuis le décret abolissant l’esclavage et la défection de plusieurs riches planteurs, elle est réduite à 10 000 ou 12 000 combattans environ. À tout prendre, ce nombre est très suffisant : les insurgés peuvent ainsi s’approvisionner et se nourrir plus facilement ; d’ailleurs, tant qu’ils manqueront de navires pour tenir la mer et occuper les ports, sauf quelques cas particuliers, ils ne sauraient se hasarder bien loin. Qu’ils gardent seulement fermée l’entrée des districts orientaux, se tenant prêts à profiter de toute occasion. À l’heure qu’il est, il s’agit bien moins pour eux de vaincre l’adversaire que de l’user ; mais déjà, sur le territoire soumis à ses ordres, le gouvernement insurrectionnel fonctionne régulièrement : il y a une chambre élective qui fait des lois, un pouvoir exécutif qui les applique, un corps judiciaire qui rend des arrêts ; on annonçait dernièrement que le marquis de Santa-Lucia, un des membres les plus actifs de la junte cubaine de New-York, avait, en remplacement de Cespedes, été nommé président. Cette nouvelle, de source espagnole, mérite confirmation ; elle prouverait en tout cas que Cespedes n’a rien perdu de son désintéressement et de son patriotisme. Maintenant qu’un événement imprévu, qu’une complication politique surgisse tout à coup soit en Europe, soit en Amérique, du jour au lendemain Cuba peut se trouver libre, et obtenir d’un trait de plume les droits qu’elle revendique par les armes depuis plus de six ans.

III.

Non moins que l’Espagne elle-même, la république des États-Unis est intéressée aux événemens et au sort futur de Cuba. Dans un livre très intéressant, très nourri, publié en 1869 à Paris sur la question des Antilles, M. Porfirio Valiente, Cubain lui-même et partisan de l’annexion, énumérait les diverses causes qui, selon lui, rendent cette solution nécessaire. Située à l’entrée du golfe du Mexique, à six heures de Key-West, à deux jours et demi des bouches du Mississipi, à quatre jours de New— York, l’île de Cuba au